«Je me sens vraiment privilégiée par rapport à la génération de ma fille» Adeline Pisa, 74 ans, professeur de français agrégée à la retraite, Marseille
«Je suis d’une génération qui a toujours payé. Quand j’étais active, j’ai cotisé pour ma retraite, donc j’estime que je la mérite. C’est vrai que cette augmentation de la CSG, ça fait beaucoup, et mon conjoint râle encore plus que moi… Question de principe. Mais en même temps, quand j’étais active, j’ai bénéficié des Trente Glorieuses, je me sens donc vraiment privilégiée par rapport à la génération de ma fille. Je paye des impôts, je trouve que j’en paye beaucoup trop, mais j’ai des enfants qui, tout en ayant des diplômes, galèrent financièrement. Je n’arrive donc pas à dire "j’ai déjà payé, foutez-nous la paix maintenant", cela ne serait pas en accord avec mes valeurs. Donc je veux bien que l’on m’en prenne plus, mais uniquement si c’est pour le donner à ceux qui en ont moins. Si cette augmentation de CSG est vraiment répercutée sur une aide aux plus précaires, je suis d’accord. Même si j’aurais préféré le faire directement, donner, moi, plutôt que d’être imposée par l’Etat parce que je ne sais pas vraiment où va aller cet argent. J’ai bien peur qu’il ne passe à la trappe…
«Je suis d'une génération qui a toujours en tête la mise en place de la vignette pour les véhicules il y a une cinquantaine d'années. A l'époque, cela devait servir à financer les petites retraites et ça ne s'est jamais passé. Je ne suis pas sûre que cette fois-ci, ce sera différent. D'ailleurs, il n'y a qu'à voir la décision de ce gouvernement de baisser les APL de 5 euros. Moi, je touche 3 400 euros de retraite par mois, c'est confortable, je vis bien. Si on m'enlève 100 euros, ça aura beaucoup moins d'impact sur mon quotidien que ces 5 euros de baisse d'APL. Pour autant, j'estime que je ne suis pas riche. Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi on ne s'attaque pas d'abord à ceux qui ont les moyens de se payer un conseiller fiscal pour ne pas payer d'impôts, ou ceux qui pratiquent l'évasion fiscale. Tous les gouvernements successifs ont parlé de combattre la fraude fiscale et ils n'ont jamais rien fait. Si on veut aider les plus pauvres, c'est d'abord là qu'il faudrait taper.» Recueilli par Stéphanie Harounyan (à Marseille)
«C’est toujours les mêmes à qui on demande de payer et qui ne profitent jamais des avantages mis en place» Patrick Binard, 60 ans, ancien ingénieur, Rennes
«Je viens tout juste de prendre ma retraite et je vais toucher, avec ma retraite complémentaire et les points acquis pendant mes années de travail, environ 2 500 euros par mois. J’ai pu aussi bénéficier d’un départ en retraite anticipé au titre des carrières longues. Je fais donc partie des retraités plutôt privilégiés avec un niveau de vie correct et je veux bien contribuer à l’effort collectif. Mais il faudrait aussi que cette contribution soit mieux répartie. Comme on ne peut rien prendre aux plus pauvres et que ce n’est pas dans la politique actuelle de taxer les plus riches, comme on le voit avec la suppression de l’impôt sur la fortune, c’est encore chez les classes moyennes et les retraités qu’on va chercher l’argent. Au-dessus d’un certain seuil, c’est toujours les mêmes à qui on demande de payer et qui ne profitent jamais des avantages qui sont mis en place, comme la suppression de la taxe d’habitation à laquelle je n’aurai pas droit. Au bout du compte, c’est un peu la double peine et je ne peux me réjouir de ça. On pourrait aussi s’intéresser aux gros dividendes ou à la fraude et à l’optimisation fiscales. Il faut aussi avoir en tête que les retraités paient plein pot leurs mutuelles de santé complémentaires alors que, lorsqu’on est salarié, une part de cette cotisation est prise en charge par l’entreprise.
«Mais le cœur du problème reste la mauvaise répartition des richesses et la question de l'emploi. Je fais partie d'une génération qui a connu le plein-emploi alors que les jeunes sont aujourd'hui embauchés de plus en plus tard, avec des boulots de plus en plus précaires et de faibles cotisations, ce qui pèse sur le système des retraites. S'il y avait moins de chômage, il y aurait davantage d'argent à rentrer dans les caisses de l'Etat. Et les grandes entreprises qui ont délocalisé en Chine ou ailleurs pour faire davantage de profit sont aussi responsables de ça. Qu'on augmente un peu ma CSG, pourquoi pas ? Cela n'aura pas beaucoup d'impact sur ma manière de vivre personnellement, mais je pense aussi à tous ceux qui touchent 800 euros ou 1000 euros de retraite par mois et qui ont déjà du mal à finir leurs fins de mois.» Recueilli par Pierre-Henri Allain (à Rennes)
«Ce qu’on ne voudrait pas, c’est que cet argent soit reversé à un patronat déjà avantagé» Gilles et Carole, 63 ans, anciens ingénieur et prof agrégée, Voiron (Isère)
«En tant qu’anciens ingénieur et professeure agrégée, nous touchons à deux 6 000 euros net de retraite par mois. L’augmentation de la CSG va représenter pour nous 1 200 euros par an en moins, soit une augmentation de 7 % de nos impôts. La baisse des taxes locales ne nous concernera pas, notre taxe d’habitation va même augmenter de 2 euros l’an prochain. Cet affaiblissement de notre retraite aura surtout un impact sur les loisirs, le bien-être, mais rien de vital par rapport à d’autres gens. C’est un effort que nous acceptons au titre de la solidarité. On appartient à une classe d’âge aujourd’hui nantie : on a connu l’emploi tout de suite à la sortie de nos études, et jamais le chômage. On a bénéficié d’un haut niveau de salaire, pendant longtemps.
«Ces 1 200 euros, on les aurait dépensés de toute façon. Si on fait le calcul de ce que l’on va reverser et de ce que nos trois enfants, trentenaires, qui ont des revenus plus bas, ne vont plus payer avec la baisse de la taxe d’habitation, on atteint un équilibre. On est d’autant plus motivés de donner cet argent qu’on a le sentiment que c’est pour une bonne cause : ce sera directement visible sur la cellule familiale. On imagine que ça doit être plus difficile pour ceux qui n’ont pas d’enfants. Ces 100 euros par mois en moins, ça se voit sur les comptes, mais ça ne nous empêchera pas de partir en vacances, ça fera juste un peu moins de cagnotte. Il s’agit avant tout d’un changement d’habitudes. Le temps, c’est de l’argent, et du temps, justement, on en a plein, pour être à l’affût des bons plans, du marché de l’occasion. Cela dit, l’augmentation de la CSG est voulue par le gouvernement pour relancer la consommation. Or les seniors comme nous sont parmi ceux qui consomment le plus, donc ça semble un peu contradictoire…
«Par ailleurs, on ne croit pas à cette idée de favoriser l'investissement industriel : tout le monde s'en fout de l'industrie en France. Les gens n'investiront pas, ils dépenseront au mieux, quand ils ne thésauriseront pas. Ce qu'on ne voudrait pas, c'est que cet argent soit reversé à un patronat qui a déjà des avantages, que tous les gouvernements depuis quarante ans favorisent pour créer des emplois, alors qu'ils n'en ont jamais créé. Gattaz et consorts, ce ne sont que des bandits de grand chemin.» Recueilli par Maïté Darnault (à Voiron)