Comment permettre à ceux qui rentrent à l’université de réussir ? Alors que le gouvernement vient de présenter son plan à l’entrée en fac qui comprend notamment des parcours adaptés pour certains, à Nantes, on a déjà pris les devants. Dès la rentrée, à la première semaine de cours, on leur a proposé d’opter pour une licence en quatre ans. Soit une année de plus que les autres étudiants, histoire d’éviter les décrochages. Avant d’accepter d’allonger leur cursus, ils ont eu trois jours pour rédiger une lettre de motivation, jauger le pour – moins de risque de sombrer en cours de route – et pesé le contre – études plus longues, forcément plus chères à financer. A Nantes, ils sont 33 volontaires, 20 étudiants en Staps (1), 7 en socio et 6 en histoire, à avoir accepté cette expérimentation et ce changement subit de scénario, proposé à la rentrée. Ils ont trois ans, au lieu de deux habituellement, pour boucler le passage de L2 (deuxième année) et L3 (troisième année). Le programme en quatre ans doit leur servir à se prémunir contre le décrochage scolaire.
A l’université de Nantes, le taux de réussite des étudiants en première année plafonne à 7% pour les titulaires d’un bac pro, entre 10 et 20 % pour les bacs technos, selon les filières. Rien que pour les inscrits en Staps, depuis 2009, aucun titulaire d’un bac pro n’a décroché sa L1 du premier coup, et seuls 10% des bacs techno ont franchi la barre.
Pour sa première année de fac, Eva Cherboeuf ne suit que 60% du cursus des autres étudiants, le temps dégagé servant à rattraper ce qu'elle n'a pas acquis avant son bac techno : «Méthodologie, culture générale… Savoir comment rédiger une dissertation : ça, j'en ai bien besoin ! dit-elle. Je lis beaucoup, mais je ne savais pas bien organiser mon temps. Jusqu'ici, je m'éparpillais. Ces quatre heures de cours quasi particuliers par semaine, c'est un plus.» Des cours complémentaires dispensés en partie par des profs vacataires, venus de lycées professionnels, habitués à ces élèves, au fait de leurs éventuelles faiblesses. En pays connu, en somme.
Outre l'expression écrite et l'organisation du travail, la culture générale est vue à travers des visites de musées et des pièces de théâtre. Des projets tutorés, cornaqués par des étudiants en master, rémunérés pour cet accompagnement, sont aussi prévus au second semestre. Et le service d'orientation de l'université aide à travailler le projet professionnel de chaque étudiant. «Pour éviter d'en voir disparaître en cours d'année, sans qu'on n'ait pu les orienter vers un bilan de compétence ou informer sur des passerelles possibles», note Dominique Averty, vice-président de l'université nantaise, chargé de la formation.
Tout se joue au mental
En première année en Staps à Nantes, ceinture noire de judo, Eva Cherboeuf s'entraîne tous les jours, midi et soir sur un tatami. Elle voudrait devenir prof de sport ou coach sportif. «Je finis tard, je rentre chez moi vers 22 heures, et c'est vrai, c'est pas facile de travailler. Mais je suis têtue. Quand on est sportive, tout se joue au mental.»
Adepte du kayak, Edwin Sahnoune, inscrit en Staps, se verrait bien éducateur sportif : «Je viens d'un bac techno, je n'ai pas forcément tous les atouts. Un an de plus, c'est pas du temps de perdu. Et comme il y a beaucoup de redoublements, que le taux de réussite en L1 est faible, c'est peut-être même un gain de temps…» En début d'année, il a appris à mieux prendre des notes en amphi, et à s'en servir : «Au lycée, quand je rentrais chez moi, je ne faisais rien. Ici, j'ai pigé qu'en cours, je ne notais pas ce qu'il fallait, que donc j'avais du mal à relire ces notes et à retravailler dessus.»
«Pour aider à leur réussite, on a opté non pas pour des heures supplémentaires de soutien dans les différentes matières enseignées mais plutôt pour des apports en méthodologie, en savoirs transversaux, pour qu'ils se repèrent dans le temps et dans l'espace universitaire», souligne Dominique Averty. «Evidemment, si apprendre à apprendre n'est pas inutile, ce n'est pas suffisant pour réussir à l'université. La réussite universitaire tient à de nombreux autres facteurs : caractéristiques socio-démographiques, scolarité antérieure, conditions de vie, contexte d'étude, sélectivité des formations et des universités», observe Christophe Michaut, directeur du Centre de recherche en éducation au sein de la même université.
«Moi, d'habitude, je ne lis que pendant les vacances. La semaine dernière, on nous a montré ce qu'un livre pouvait nous apporter, comment mener des recherches en bibliothèque et trouver des infos pour approfondir au-delà des cours», dit Cédric Briand, 18 ans, qui a aussi opté pour une licence Staps en quatre ans : «Il ne faut pas comparer avec quelqu'un qui décrocherait sa licence en quatre ans en ayant redoublé. Nous, notre chance, c'est d'avoir notre diplôme, le même que les autres, mais sans situation d'échec ni le coup au moral d'avoir à refaire une année de cours qu'on aurait ratée.»