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Frédérique Vidal, l’ascension surprise

A l’occasion du «plan étudiants», la ministre de l’Enseignement supérieur et ancienne présidente de l’université de Nice sort de l’ombre de son homologue à l’Education nationale.
Frédérique Vidal, le 23 octobre à Paris. (Photo Martin Colombet. Hans Lucas pour Libération)
publié le 30 octobre 2017 à 20h26

Faire entrer la société au gouvernement : sur cette ambition prospère la figure du «ministre technicien», expert en son domaine mais vierge en politique. Un profil largement représenté dans le nouvel exécutif, où l'on se pique de valoriser «les compétences» plutôt que les galons partisans. Cette philosophie a valu à Frédérique Vidal un saut de 700 kilomètres : de l'université de Nice, qu'elle a présidée jusqu'en mai, au ministère de l'Enseignement supérieur, rue de la Montagne Saint-Geneviève (Paris, Ve), qu'elle occupe depuis. Encore inconnue du grand public, cette affable quinquagénaire va défendre le «plan étudiants» du gouvernement : un nouveau test pour celle qui a déjà dû gérer, peu après son arrivée, la crise des admissions post-bac (APB).

«Quand on m'a proposé le poste, j'ai d'abord été un peu sidérée», raconte la ministre. Son engagement politique ne remonte alors qu'à quelques mois. «Cette nomination a surpris beaucoup de monde à l'université de Nice, abonde un ancien collègue. C'est un établissement loin de tout qui, avec ses 28 000 étudiants, ne fait pas partie des plus gros de France.» Biologiste de formation, Frédérique Vidal était présidente depuis 2012 de cette université, où elle a réalisé ses propres études et été maître de conférence. Plusieurs membres du conseil d'administration décrivent une personnalité réservée mais travailleuse. «Elle est capable de répondre sans notes à toutes les questions, sur tous les aspects de la vie universitaire», assure un proche. Un ancien syndicaliste étudiant se montre moins amène. Il décrit un dialogue social compliqué par une «personne qui cultive le flou», dont les «décisions n'étaient pas transparentes» : «Quand j'allais la voir avec des revendications, elle me faisait des réponses qui étaient le contraire de ce qui était dit plus tôt.»

Génétique

Aucun, en revanche, ne lui connaissait d'ambition politique nationale. «Je n'ai jamais ressenti d'affinité pour un parti existant, assure l'intéressée. Je me disais souvent, en entendant les discours des partis républicains : "C'est une bonne idée, mais je ne ferais pas comme ça." Jamais un seul parti ne m'a semblé rassembler les idées importantes.» Un membre de l'Unef décrit au contraire une personnalité aux «orientations politiques déjà très claires» - comprendre : libérales. Sous l'impulsion de Frédérique Vidal, les seuils de dédoublement à Nice ont par exemple été relevés à 45 élèves au lieu de 35 en TD, et 250 contre 200 en cours magistral. Le doyen de la faculté des lettres, arts et sciences humaines, Alain Tassel, convient que des «efforts» ont été demandés : «Les conditions de travail se sont bien sûr un peu détériorées, mais ça a permis de faire des économies. On a vu les fonds de roulement augmenter, on est passé d'une crise financière à un relatif équilibre. Quand elle est arrivée au pouvoir, en 2012, c'était très délicat.» Il vante malgré tout «une personne avec une grande capacité d'écoute, attentive», qui a «manifesté de la solidarité» avec les composantes «sciences humaines» de l'université, moins bien dotées que les «sciences dures». Et rappelle que la fac de Nice a obtenu l'année dernière sous son impulsion 580 millions d'euros au titre du programme Idex (pour «initiatives d'excellence») : «On était dans les outsiders !»

Née en 1964 à Monaco de parents hôteliers, Frédérique Vidal a obtenu une maîtrise de biochimie et un doctorat en sciences de la vie. Elle n'a désormais plus le temps de se tenir au courant des publications dans son domaine, la génétique. Tout juste grappille-t-elle quelques instants sur son sommeil, qu'elle n'a jamais eu très prenant, pour lire des romans historiques - en ce moment de Ken Follett. Mariée à un «fils de plombier», elle fait de son époux - «le premier de 36 cousins à avoir eu le bac» et qui dirige aujourd'hui des expéditions scientifiques - la marque de son attachement à l'ascenseur social. Mais, prévient-elle, «on se trompe quand on prétend faire des choses égalitaires sans se soucier d'où les gens partent. Il y a un devoir de vérité sur la quantité de travail à fournir pour réussir». Une méfiance vis-à-vis de «l'égalitarisme» qui la rapproche d'Emmanuel Macron, qu'elle rencontre pour la première fois en 2015, lors d'un déjeuner réunissant le jeune ministre de l'Economie et des présidents d'université. «Dans les rendez-vous avec des politiques, c'est souvent leur entourage qui prend des notes et embraye sur ce que vous dites. Ce jour-là, j'ai eu le sentiment que lui-même était sincèrement à l'écoute.» D'abord sceptique lorsqu'elle le voit entrer en campagne, Frédérique Vidal rejoint finalement En marche et contribue, par des notes, aux travaux du mouvement sur l'enseignement supérieur. Et si l'invitation à intégrer le gouvernement la prend par surprise, elle n'envisage pas de la décliner.

«Attendus»

Entre ses anciennes et nouvelles fonctions, la ministre ne voit qu'une différence de degré. «Les rapports avec l'administration, la négociation d'un budget et même les élections, on pratique déjà quand on est présidente d'université.» Même les questions au gouvernement et leurs chahuts ont un goût de déjà-vu : «Objectivement, ce n'est pas plus dur que d'être face à un amphi de six cents étudiants de première année… La seule différence, c'est qu'on ne peut pas demander aux gens de se taire !» Une chose au moins semble avoir déconcerté la nouvelle ministre : «J'ai vécu pour la première fois de ma vie des moments où, quand je disais quelque chose, notamment dans les médias, les gens ne me croyaient pas. Quand vous parlez à des étudiants, ils ont tendance à vous écouter. Là, je me suis dit : "Il faut que tu partes du principe que, dans ce nouvel univers, par définition les gens ne te croiront plus." J'ai intégré ça. Sur APB, je disais à mes interlocuteurs : "Je vous assure, on a appelé les gens sans affectation au téléphone, on va leur trouver une place." On ne me croyait pas, alors j'ai arrêté d'essayer de convaincre. Et finalement ça m'était un peu égal : l'important, c'était de faire.»

Jusqu'ici plutôt tapie dans l'ombre (médiatique) de Jean-Michel Blanquer, omniprésent depuis son arrivée rue de Grenelle, Frédérique Vidal fait ces jours-ci un bond dans la lumière en présentant son plan pour améliorer le parcours d'orientation des lycéens et en finir avec le tirage au sort dans l'attribution des places dans l'enseignement supérieur. Si son collègue de l'Education nationale multiplie les déclarations plus aimables aux oreilles de droite qu'à celles de gauche, Frédérique Vidal se montre plus prudente. Au contraire du Premier ministre, Edouard Philippe, qui a répété lundi face à la presse qu'il n'avait «jamais eu peur du mot sélection», elle se garde d'employer ce terme, préférant évoquer des «attendus». Dans les filières où le nombre de places est inférieur aux demandes, il y aura bien une forme de sélection des étudiants, mais impossible de lui arracher le mot lors de notre entretien. Un sourire : «Je suis farouchement attachée à ce qu'un bachelier qui souhaite faire des études supérieures le puisse. Mais je suis aussi farouchement attachée à ce qu'on ne lui dise pas : "Bien sûr, tu as le bac, donc même si tu ne sais pas nager, te voilà en pleine mer." Est-ce que je laisse quelqu'un se noyer, sachant qu'il va se noyer ?» Elle-même, a-t-elle déclaré cet été dans la presse, a changé de voie après avoir raté sa première année de fac en médecine.