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Enseignement supérieur

Le gouvernement pousse un petit tri

L’exécutif a annoncé lundi matin son «plan étudiants» censé réduire le taux d’échec en licence. Il a également mis fin au tirage au sort lors de l’admission post-bac, réinjectant une part de sélection dans le processus.
Jean-Michel Blanquer, Edouard Philippe et Frédérique Vidal, lundi à Paris. (Photo Marc Chaumeil pour Libération)
publié le 30 octobre 2017 à 20h26

«Je n'ai pas et je n'ai jamais eu peur du mot sélection, mais ce n'est pas ce que nous proposons.» Lundi, le Premier ministre, Edouard Philippe, a mis fin au suspense : non, les bacheliers et étudiants ne seront pas sélectionnés au début du premier cycle universitaire. Enfin, pas tous. Ou plutôt est-ce une affaire de vocabulaire.

Reprenons : cet été, les dysfonctionnements de la plateforme des admissions post-bac (APB) ont été mis au jour. Seuls 60 % des bacheliers avaient pu s’inscrire dans la formation qui avait leur préférence, et les affectations s’étaient faites de manière aléatoire, souvent par tirage au sort. Autant la Cour des comptes que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) avaient épinglé le dispositif. En parallèle, le taux d’échec en première année d’université, et ce n’est pas neuf, atteint près d’un étudiant sur deux, soit parce qu’il s’est trompé de filière, soit parce qu’il n’avait pas le niveau nécessaire pour suivre l’enseignement (par exemple, il s’est inscrit en Staps sans savoir que le cursus incluait en plus des heures de sport des cours d’anatomie ou de biologie).

Modules

Cet été, la ministre de l'Enseignement supérieur a donc lancé une concertation avec les acteurs du monde universitaire. «Pas un seul n'a défendu le tirage au sort», a relevé Frédérique Vidal. Le résultat, qui doit être présenté en Conseil des ministres le 22 novembre, consiste en une mini-révolution dans l'orientation des lycéens - sauf pour les 40 % d'étudiants en filière sélective (IUT, classes prépa…), pour qui rien ne change.

En janvier, les élèves de terminale formuleront désormais 10 vœux (au lieu de 24 maximum), qu'ils ne classeront pas, contrairement à la pratique actuelle. Cela permet notamment d'éviter d'être pénalisé par un manque de stratégie. Ils auront en outre accès aux «attendus» (nouveau nom des prérequis), c'est-à-dire aux exigences académiques pour réussir dans chaque filière. Ils sauront si elle est en tension, quel est le taux d'insertion professionnelle, ou encore combien d'autres élèves veulent s'y inscrire. Pour encadrer le processus, dans les classes de terminale, un second professeur principal sera nommé, et deux semaines d'orientation seront organisées. En outre, un site et une application (Monrientationenligne.fr) opérés par l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (Onisep) doivent être améliorés, notamment en proposant davantage de conseils via téléopérateur. L'idée, a insisté le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, c'est de faire revenir de «l'humain» dans l'orientation.

Puis, durant le deuxième trimestre, le conseil de classe formulera un avis sur chacun des vœux de l’élève. Les universités et établissements d’enseignement supérieur traiteront ensuite les dossiers, en ayant accès aux notes, et répondront à chaque vœu. Se présenteront alors trois cas de figure.

Première option, l’élève a le niveau requis et il y a de la place (ce qui est le cas dans la majorité des filières), l’université lui dit «oui».

Deuxième possibilité, l’élève n’a pas le niveau requis, il y a assez de places dans la filière, l’université lui dit «oui, si…». L’élève s’engage alors à suivre le ou les modules de remise à niveau proposés par l’établissement. Ces modules doivent s’inscrire dans le parcours de l’étudiant, de sorte qu’il fasse sa licence en trois ou quatre ans, comme c’est déjà le cas. Voire en deux, si l’élève est particulièrement en avance. Ce que le gouvernement souhaite, c’est sortir de l’idée qu’une licence doit se faire en trois  ans. Et aucun étudiant ne sera rejeté d’une filière où il y a de la place, même s’il n’a pas le niveau, insiste-t-on au ministère de l’Enseignement supérieur.

Troisième cas de figure, l’élève souhaite une filière où il y a plus de demandes que d’offres de places. Il s’agit des filières dites en tension : Staps (sport), Paces (préparation aux concours médicaux), droit et psychologie. Soit l’élève est admis, soit il est mis «en attente». S’il n’y a plus de places à l’issue des affectations, une commission d’accès à l’enseignement supérieur, composée du recteur d’académie, de représentants du secondaire et du supérieur, propose une autre filière, proche du souhait du lycéen.

«Vigilance»

L'élève ne pourra donc pas forcer le passage d'une filière ou obliger la fac à créer une place pour lui. Il n'y a pas de «droit opposable» à étudier dans une filière en particulier : le droit d'accès à l'enseignement supérieur est préservé, mais pas celui d'accéder à la formation de son choix. A moins de suivre des modules complémentaires et de retenter sa chance le semestre ou l'année suivants. «Comme l'a dit le Premier ministre, entre le tirage au sort et la sélection sèche, il y a toute une palette de solutions, et on est pile là-dedans, juge le maître de conférence à l'université de Lorraine et secrétaire général de Sup'Recherche-Unsa, Stéphane Leymarie. On accompagne, on fait de l'affectation dirigée. La sélection, c'est dire "non", alors que là on ne perd pas les étudiants dans la nature. Il y a une grosse différence par rapport à la sélection sèche.»

Même satisfaction chez le président de la Fage, premier syndicat étudiant, Jimmy Losfeld : «C'est une victoire culturelle, on part de loin. Avec la séquence de cet été, on avait prêté le flanc aux discours pro-sélection. Le gros point de vigilance, c'est qu'il est hors de question qu'on refuse une filière à un étudiant sous prétexte qu'il n'y a pas de places. On demande la création de 10 000 places en Staps pour la prochaine rentrée.» L'exécutif a annoncé des places supplémentaires dans les filières en tension, sans en préciser la répartition. A terme, 130 000 doivent être créées, ce qui, couplé aux 137 000 places vacantes, devrait absorber les 200 000 étudiants en plus attendus dans les années à venir.

Capacités d’accueil

Du côté de l'Unef, on a une lecture un peu différente. Dans un communiqué, le syndicat estime que c'est bien le principe de sélection qu'on entérine : «Cette réforme remet en cause le principe de libre accès à l'université qui garantit à chaque jeune titulaire du baccalauréat de pouvoir continuer ses études. Lorsque les demandes sont supérieures au nombre de places, les universités auront la possibilité de répondre tout simplement "non" à un étudiant.» Réponse de la vice-présidente de la Conférence des présidents d'université, Fabienne Blaise : «La vraie sélection, c'était celle par l'échec et le tirage au sort.» (lire page 3). Autre nouveauté : les étudiants ne seront plus obligés de s'inscrire dans leur académie. Le recteur, qui fixera les capacités d'accueil de chaque formation, décidera aussi d'un quota d'élèves venus d'autres académies - sans doute pas plus de 5 % au début, ainsi que d'un nombre de places réservées dans chaque cursus aux étudiants boursiers. «Chaque territoire possède des formations excellentes, a expliqué Frédérique Vidal. Il ne faudra pas concentrer les demandes sur les métropoles, même si la mobilité doit monter en puissance.»

L'exécutif entend mettre sur la table 500 millions d'euros en plus sur cinq ans. Soit 100 millions par année du quinquennat - bien loin des 2 milliards annuels que l'Unef exige. «Le financement n'est pas satisfaisant, il sera aussitôt englouti par l'augmentation de la démographie étudiante. Il reste 450 millions du grand plan d'investissement, ce qui ne peut suffire à financer une réforme d'ampleur. Ces 450 millions fonctionnant par appel à projets, on risque d'arroser là où c'est déjà mouillé», s'inquiète de son côté Stéphane Leymarie.