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Libération
Récit

A l’Assemblée nationale, le bras de fer sur les avantages dispendieux des ex-tenants du perchoir

François de Rugy, au perchoir, prône le statu quo, quand l’argentier Florian Bachelier, LREM comme lui, veut réduire les privilèges des anciens élus.
Le président de l’Assemblée nationale, François de Rugy, au Palais-Bourbon le 27 juin. ( PHOTO ALBERT FACELLY)
publié le 6 novembre 2017 à 20h36
(mis à jour le 9 novembre 2017 à 11h59)

Rififi au Palais-Bourbon sur fond de serrage de vis budgétaire. Entre le président de l'Assemblée nationale, François de Rugy, et son grand argentier, Florian Bachelier, le bras de fer est engagé. S'ils s'accordent sur la nécessité de revisiter les dépenses de la Chambre basse pour faire des économies, les deux macronistes divergent sur ce qu'il convient de faire des fonds dégagés. En indiquant ce week-end au JDD vouloir restituer «une partie des sommes économisées à l'Etat», et donc revoir à la baisse le budget annuel de 550 millions d'euros de l'Assemblée, Florian Bachelier, premier questeur, a mis le feu aux poudres. «Je n'ai pas été élu sur un mot d'ordre de baisse des dotations de l'Etat, rétorque Rugy à Libération. Il suffit de comparer avec les Parlements de nos voisins pour comprendre que l'Assemblée n'est pas surdotée.»

Un désaccord de fond, envenimé par l’âpre lutte d’influence qui se joue en coulisse : Florian Bachelier, primo-député d’Ille-et-Vilaine, est un protégé du marcheur de la première heure et chef de file des députés LREM Richard Ferrand. Lequel caresse l’espoir de remplacer à mi-mandat au perchoir un Rugy a priori élu pour la totalité de la législature…

Gaspi. Mercredi, le bureau de l'Assemblée (composé notamment des représentants des groupes, des questeurs et des vice-présidents et du président), qui est décisionnaire sur les règles financières internes, devrait donc être le théâtre d'une passe d'armes à fleurets mouchetés. Pour les trois questeurs (qui ont en charge le suivi du budget de l'Assemblée), Bachelier, mais aussi Thierry Solère («les constructifs») et Laurianne Rossi (LREM), ce sera l'occasion de faire le point sur les économies réalisées. Mieux encore : d'ouvrir le débat sur celles qui pourraient être engagées. C'est qu'en épluchant les comptes de l'Assemblée, le trio a identifié nombre de dépenses à ses yeux superflues, voire injustifiées.

S'en est suivi une chasse au gaspi : division par deux du coût de l'arbre de Noël de l'hôtel de Lassay (120 000 euros), suppression des billets SNCF gratuits ou à prix réduit pour les ex-députés (800 000 euros d'économies), limitation aux seuls élus d'outre-mer (et non plus à leur conjoint et leurs enfants) d'un crédit de transport… «Nous pensons parvenir à 1 million d'économies sur 2017», pavoise Bachelier. Qui ne compte pas s'arrêter là : «Notre but est de réduire les dépenses de 10 millions d'euros en 2018 et de 15 millions par an sur le reste de la mandature», avance-t-il, avec une idée bien arrêtée sur la manière d'y parvenir. De fait, au fil des livres de comptes, les questeurs sont tombés sur deux gisements d'économies aussi prometteurs que sensibles. «On a découvert que les avantages accordés pour dix ans à ses anciens présidents - une voiture avec chauffeur, un bureau et un collaborateur - coûtaient 330 000 euros par an à l'Assemblée, indique Bachelier. Moi, je ne sais pas expliquer cela à nos concitoyens.»

Cette fois, pour Rugy, les questeurs dépassent les bornes. «Les anciens présidents de la République, les anciens Premiers ministres et même les anciens ministres de l'Intérieur bénéficient de ce type d'avantage», fait valoir l'ancien Vert converti aux ors de la République. Rugy a donc rassuré ses deux prédécesseurs, le LR Bernard Accoyer et le PS Claude Bartolone : telle mesure n'est pas près d'être inscrite à l'ordre du jour du bureau de l'Assemblée, seul décisionnaire en la matière…

«Addition». L'autre dossier dans le collimateur des questeurs n'est pas moins conflictuel. Il s'agit du rachat par l'Assemblée de l'hôtel de Broglie, bâtiment classé situé à deux pas du Palais-Bourbon, décidé en 2016 mais pas encore finalisé. En découvrant le montant du devis de son réaménagement en bureaux, Bachelier est tombé de sa chaise : «Cela s'élève à 40 millions d'euros, soit 360 000 euros par bureau double installé ! s'étrangle le questeur. Comme l'Assemblée doit encore verser 63 millions à l'Etat pour l'achat de cet hôtel particulier, l'addition s'élève à 100 millions !» Pour Bachelier, aucun doute, il faut annuler l'opération : «Au moment où le chef de l'Etat envisage de diminuer d'un tiers le nombre de députés, un tel investissement est disproportionné.»

Vendredi, son entrevue avec le ministre du Budget a fini de le convaincre : une telle décision ne gênerait pas l'Etat, qui a d'autres acheteurs potentiels en vue… Rugy, lui, ne l'entend pas ainsi : «L'opportunité de mettre la main sur des locaux proches de l'Assemblée nationale ne se présente pas tous les jours, rappelle-t-il. L'Assemblée loue chaque année 2,5 millions d'euros un immeuble de bureaux rue Aristide-Briand. L'hôtel de Broglie pourrait donc être amorti sur trente ans…» Pas question donc de céder à «l'immédiateté». «On en discutera devant le bureau avant la fin de l'année : il faut lancer les travaux de réaménagement au plus vite», dit Rugy. Et de tacler Bachelier : «Il ne faut pas laisser entendre que les choses sont faites alors qu'elles ne le sont pas !»