Ça tangue dur chez General Electric (GE) : le géant industriel américain qui a avalé la branche énergie du français Alstom en 2015 a annoncé ce lundi 13 novembre un vaste plan de restructuration qui aboutira à son recentrage sur ses trois grandes activités (aéronautique, santé, énergie), à un plan de cession d'actifs de 20 milliards de dollars (17 milliards d'euros) et à des milliers de suppressions de postes dont le détail géographique et opérationnel n'est pas encore connu. La France, où un plan social prévoyant la suppression de 345 des 800 postes de l'usine de turbines hydrauliques GE Hydro à Grenoble fait déjà polémique, serait relativement épargnée, selon plusieurs sources syndicales interrogées par Libération. Pour cause, GE s'est engagé il y a trois ans à créer 1 000 nouveaux emplois nets d'ici 2018 pour obtenir le feu vert de l'Etat français au rachat du fabricant de turbines électro-nucléaire Alstom Power. Et l'américain est déjà accusé de ne pas tenir ses promesses. Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a ainsi sommé GE de respecter «ses engagements» mi-octobre. Il a aussi promis de «ne pas laisser tomber GE Hydro» dont les représentants syndicaux étaient précisément reçus ce lundi après-midi à Bercy.
«Sauf mauvaise surprise, on ne s'attend pas à un nouveau plan social massif chez nous, c'est trop "touchy" pour eux politiquement avec GE Hydro, explique un syndicaliste sous couvert d'anonymat. En revanche, il pourrait y avoir des réorganisations avec notamment une nouvelle société regroupant toutes les activités services à l'énergie (Fieldcore) et la vente de certaines petites entités. On en saura plus dans quelques jours.» Le PDG de GE, John Flannery, devrait en effet détailler ce jeudi 16 novembre les conséquences sociales du plan de réorganisation annoncé ce lundi pour tenter de regagner la confiance de Wall Street et des investisseurs. Sous pression des fonds activistes, à qui le conglomérat a trop promis de dividendes, et bousculé par la crise du secteur énergétique, GE traverse en effet l'une des pires tourmentes de son histoire vieille de 125 ans : depuis le 1er janvier 2017, la capitalisation boursière du mastodonte américain connu pour fabriquer entre autres des moteurs d'avion, de la technologie médicale et des centrales électriques a fondu de 100 milliards de dollars. La valeur du groupe est ainsi tombée de 250 milliards à moins de 150 milliards en quelques mois…
Le piège des dividendes
Arrivé à la tête de GE il y a trois mois, John Flannery, qui a succédé à l'inamovible Jeff Immelt (2001-2017), s'est retrouvé le couteau sous la gorge : comment distribuer 8 milliards de dollars de dividendes à des actionnaires toujours plus gloutons quand on n'a que 7 milliards de cash en caisse cette année ? La réponse est tombée ce lundi avec l'annonce que le dividende serait réduit de moitié cette année à 12 dollars contre les 24 initialement prévus cette année. Flannery a parlé d'une mesure «extrêmement douloureuse» à ses yeux mais qui contribuera à aider la firme «à aller de l'avant». Il y a dix ans, Jeff Immelt, qui avait déjà dû procéder à une annonce comparable en pleine tourmente financière de la crise de 2008, avait qualifié la mesure de «pire décision de sa carrière». Sentimentaux avec les actionnaires, les dirigeants de GE le sont beaucoup moins avec les salariés puisque GE a déjà connu plusieurs vagues de réductions d'effectifs : les effectifs de la «world company» sont ainsi tombés de 333 000 salariés en 2015 à 295 000 aujourd'hui.
Et ce n'est donc pas fini puisque plusieurs milliers de suppressions de postes supplémentaires devraient être annoncées dès jeudi : la branche énergie qui pèse 40 milliards de chiffre d'affaires mais dont le profit est en chute libre (-25% prévus en 2018) serait la première visée. Le groupe américain, qui a réalisé la plus grosse acquisition de son histoire (près de 10 milliards d'euros) en rachetant le français Alstom Power en 2015, risque d'annoncer de grosses coupes dans les effectifs. «Alstom s'est révélé en dessous des attentes», a notamment déclaré lundi John Flannery à New York. «Nous avons l'opportunité de mieux diriger cette activité», a renchéri Russell Stokes, le nouvel homme fort de cette division. Ce qui laisse augurer d'une sérieuse reprise en mains. Mais les salariés français seraient donc relativement épargnés, du moins pour le moment, ce qui ne sera pas le cas de leurs collègues, ex-Alstom, ailleurs dans le monde. GE emploie aujourd'hui 16 000 personnes en France sur 84 000 en Europe...
«Se serrer la ceinture»
«Il est clair que nous allons devoir nous serrer la ceinture», avait prévenu John Flannery mi-octobre. Pour économiser 4 milliards de dollars par an et faire remonter la trésorerie disponible, GE va donc passer son énorme portefeuille d'actifs pesant 125 milliards de dollars de chiffre d'affaires à la paille de fer : la filiale spécialisée dans le transport ferroviaire (trains et matériels de signalisation) devrait être vendue, l'américain prenant apparemment acte de nouvelle donne créée dans le secteur par la fusion Siemens-Alstom. La branche de GE Healthcare spécialisée dans l'informatique médicale devrait également être cédée. Enfin, la filiale spécialisée dans la location d'avions de ligne, GE Capital Aviation Services, qui dispose d'une flotte de près de 2 000 appareils, pourrait être introduite en Bourse. «Ils vont vendre tout ce qu'ils peuvent», a indiqué un analyste à l'AFP, estimant que le géant GE «est tombé de son piédestal».
Au total, le boss de GE espère donc retirer un trésor de guerre de 20 milliards de dollars de cet élagage. Pour faire bonne mesure, Flannery a aussi annoncé des mesures d'économies au siège du groupe à Boston (Massachussets) : l'équipe de direction passera notamment de 18 à 12 membres et il y aura des suppressions de postes dans les services centraux… John Flannery estime que ce traitement de choc est «une opportunité de réinventer une compagnie iconique». Intraitables, les marchés n'ont pas applaudi les efforts du patron de GE : lundi, l'action perdait plus de 5% à Wall Street après l'annonce du plan. La division par deux du dividende n'est pas passée et les investisseurs attendent sans doute de connaître l'ampleur des réductions d'effectifs pour racheter du GE. Wall Street ne connaît d'autres lois que celle de l'argent qui rentre, quitte à ce qu'il y ait encore du sang sur les murs de la vénérable entreprise née en 1892 des brevets de Thomas Edison.