Sur le campus de Grenoble, qui regroupe 45 000 étudiants, la saison électorale semble bien loin. Aucune affiche ne subsiste, même les inamovibles stickers des partis se font rares. Les tags ont été effacés. Un seul, sur les murs de Sciences-Po, n'a pas été nettoyé : «Sauf le pouvoir, tout est illusion. Tout le pouvoir aux soviets 1917-2017», proclame-t-il. «Ça aurait pu être cool, 2017 après 1917», reconnaît Amin, 22 ans, membre du «groupe d'appui» de La France insoumise de l'université grenobloise. La promulgation des ordonnances sur la réforme du code du travail, à la rentrée, a donné lieu à des regroupements et quelques collages, mais «ce n'est pas du tout la même verve» que durant l'examen du projet de loi El Khomri, regrette l'étudiant en droit : «On avait plein de jeunes dans la rue qui avaient envie, d'autres personnes que les militants traditionnels, et ça, on n'arrive pas à le recréer.» Pierre, 24 ans, en master de sciences politiques, acquiesce : «On est dans une phase creuse. Les gens sont blasés, pas combatifs. Pour autant, je pense qu'ils restent très critiques et très conscients de ce qui leur arrive.» Manque encore, pour relancer la lutte, «l'élément déclencheur, dit Pierre, un événement qui choque les gens ou la phrase de trop de Macron». Mehdi, 18 ans, en philo, redoute lui «le ruissellement de mesures antisociales à venir». Un éparpillement orchestré par l'exécutif, analyse l'insoumise Morgane, 19 ans, étudiante à Sciences-Po : «C'est difficile de mobiliser des catégories aussi diverses autour de mesures éparses, éclatées. Le gouvernement est très conscient de ça, la demi-mesure protège de l'élément déclencheur.» Les quatre camarades continuent de tenir chaque mercredi une permanence de La France insoumise, pour «se former» et débattre sur des sujets choisis. Leur assiduité fait figure d'exception sur le campus.
«Non-choix»
Devant la bibliothèque des sciences, Deniz, Geoffroy et Meriton, en licence de chimie-biologie, finissent leur clope. Seul motif d'exaspération pour Meriton, l'augmentation du prix du tabac. Geoffroy, 20 ans, a bien manifesté une fois, durant l'entre-deux-tours présidentiel, contre le «non-choix» à faire entre LREM et le FN. Depuis, il n'est «pas spécialement au courant». La réforme du code du travail ? «Ce n'est déjà pas simple d'en trouver, ce n'est pas ça qui va changer les choses. Ce qui compte, c'est d'avoir son diplôme, de la chance et des contacts», estime-t-il. Deniz, «pas trop impliquée», pourrait changer d'avis si sa bourse était remise en cause : «Il ne faut pas y toucher. Je n'ai pas de revenus, je n'aurais pas de quoi vivre sinon.»
Le débat sur la sélection à l'entrée de l'université, lancé cet été par la ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, ne semble pas avoir trouvé une grande résonance ici. Les commentaires spontanés à ce sujet ne sont pas légion. Le tri au niveau master est «une bonne chose, assez normale», estime Geoffroy. «Par contre, je ne suis pas d'accord pour une sélection avant la licence. Ils devraient augmenter les effectifs, les capacités d'accueil, plutôt que d'imposer un choix. C'est important que tout le monde puisse aller à la fac.»
«Fossé»
C'est surtout la baisse des aides au logement (APL) qui a marqué les esprits. «Cinq euros, c'est un paquet de pâtes ou de riz et un pot de sauce tomate. C'est pas très équilibré, mais ça fait deux repas», dit Djamel, président du bureau des étudiants (BDE). Alexandre, 26 ans, en histoire, s'attarde : «Les étudiants touchent entre 100 et 250 euros d'APL par mois, alors 5 euros, c'est relatif. Mais le symbole me dérange. Les jeunes ont le taux de chômage le plus élevé, cette décision augmente le fossé entre les riches et les pauvres.»
Dans la galerie des amphis, le BDE d'éco-gestion tient un stand pour promouvoir ses activités. «L'histoire des deux plats de pâtes à la tomate de Mélenchon, ça fait rire, c'est du cinéma, tacle Axel, 20 ans, en deuxième année de licence. Cinq euros, c'est un tacos, alors une malbouffe de plus ou de moins…» A ses côtés, Noémie, 19 ans, n'y voit rien à redire : «J'avoue, je suis de droite. Je suis contente de Macron.» Elle vante le «coup de jeune», la suppression de la taxe d'habitation. Bref, de «bons débuts». De toute façon, si ça changeait, «je n'aime ni les manifestations ni les manifestants, complète Axel. La CGT qui fait des blocages tous les quinze jours, ça suffit». En matière de blocage, Mathilde, qui suit un double cursus en droit et langues, propose cette analyse : «Je trouve la baisse des APL choquante, mais le 49.3 de Valls a marqué les esprits.» Ce «passage en force» a ancré «les racines du découragement», dit-elle. Un sentiment parachevé par la publication des ordonnances.