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Analyse

Les étudiants et la gauche : une longue «proximité conflictuelle»

Historiquement, les syndicats étudiants ont toujours peuplé les rangs des partis politiques progressistes.
Manifestation à Paris le 18 février 2009 pour protester contre les réformes qui touchent l'université et le domaine de la recherche. (Photo: Lionel Bonaventure.AFP)
publié le 15 novembre 2017 à 20h26

«Un président de gauche ne peut pas être élu sans la jeunesse.» Ce théorème que répétait Hollande en privé (il disait le tenir de Francois Mitterrand) semble toujours d'actualité. Jean-Luc Mélenchon lorgne depuis plusieurs mois les étudiants, réclamant «que les facs bougent» contre les ordonnances de Macron.

Labourer

Il entend mobiliser les 18-24 ans, dont un tiers lui ont donné leur voix au premier tour de la présidentielle. Il n'est pas tout seul sur le créneau. Benoît Hamon, ancien du syndicat étudiant Unef et ex-président du Mouvement des jeunes socialistes, a, lui aussi, entrepris un tour des universités. Tous les deux partent labourer un terrain bien connu des élus de gauche, mais un terrain en friche. Sur 2,5 millions d'étudiants, seulement 183 000 ont voté lors des dernières élections étudiantes. Et la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), fondée en 1989 et moins engagée politiquement, a détrôné la vieille Union nationale des étudiants de France (Unef), marquée à gauche. Ainsi, souligne Robi Morder, président du Groupe d'études et de recherche sur les mouvements étudiants, Mélenchon n'a «pas forcément intérêt» à passer par les organisations étudiantes pour politiser les jeunes. Pourtant, il souligne qu'«une partie des étudiants sont la gauche», et les avoir à ses côtés est un enjeu de longue date pour les responsables politiques, même ceux de droite, qui conviaient l'Union nationale interuniversitaire (UNI) à leurs meetings pendant la primaire de 2016. A gauche, on y voit aussi un vivier intéressant de talents : ceux qui sont passés par les associations étudiantes savent déjà s'organiser, mener des manifs, répondre à la presse… Chaque mouvement étudiant (contre le projet de loi de réforme des universités Devaquet en 1986, ou le CPE en 2006…) a vu émerger une nouvelle génération de responsables politiques.

Etats-majors

En tête de pont, il y avait l'Unef, à qui on a beaucoup reproché d'être une porte d'entrée vers le PS. «Jusqu'à la loi El Khomri, toute une série de militants partaient au PS après leurs études, considérant que c'était là qu'on pouvait continuer à militer, être efficace sans se marginaliser», explique Robi Morder. Ce dernier refuse pourtant la vision unilatérale d'une mainmise du PS sur l'Unef, mais explique qu'on y retrouve «des gens qui baignent dans les mêmes références de revendications». Cela s'explique en partie par l'histoire de l'Unef, née en 1907 et qui, dès l'après-guerre, se rapproche des syndicats de salariés et du mouvement social au sens large. Le mot d'ordre tacite devient «on fait de la politique en restant indépendant des partis», donc «rien d'étonnant à ce qu'il y ait des passerelles», poursuit Morder.

En 1980, le jeune militant d’extrême gauche Jean-Christophe Cambadélis prend la tête du syndicat, avant de s’encarter chez les socialistes en 1986, suivi par des dizaines d’étudiants. La même année, une socialiste proche de Julien Dray - lequel a quitté la Ligue communiste révolutionnaire et rejoint le PS en 1981 -, Isabelle Thomas, est en première ligne à l’Unef contre le projet de loi Devaquet. La réforme Jospin de 1992, qui visait la réduction du nombre de Deug, fracture le syndicat. En 1994, Pouria Amirshahi, socialiste, opposant à la réforme, prend les rênes et redonne à l’Unef un semblant d’indépendance… du moins sur le papier. Car en 2015, encore dix députés socialistes, dont Benoît Hamon et Pouria Amirshahi, ont versé une partie de leur réserve parlementaire à l’organisation étudiante.

De Valls à Hollande, en passant par Rocard, Jospin, Le Drian ou encore Lang… nombreux sont les pontes du PS à être passés par la case Unef. Mais le PS n’a pas été le seul bénéficiaire. A la tête de l’organisation jusqu’en 2016, William Martinet a récemment rejoint les rangs de La France insoumise. D’ailleurs, pendant la campagne présidentielle, les figures de la «génération CPE» sont dans tous les états-majors de la gauche : Mathieu Hanotin ou Nadjet Boubekeur aux côtés de Benoît Hamon, Julien Salingue ou Antoine Pelletier avec Philippe Poutou (NPA)… Certains anciens de la Fage commencent aussi à apparaître dans des organigrammes comme l’ancien président Jean-François Martins, désormais adjoint à la mairie de Paris.

Mais ces relations demeurent «des proximités conflictuelles», résume Robi Morder, qui note qu'«à chaque fois qu'il y a des tentatives d'immixtion trop avancées, cela mène à une rupture». Ce qui explique sans doute le choix des mélenchonistes et des hamonistes : créer des comités universitaires indépendants.