Ce matin, César n'a pas réussi à franchir les grilles du palais de justice de Paris. Il n'a pas trouvé le courage de s'avancer jusqu'à la barre de la cour d'assises. Trop de douleurs. Trop de nuits d'insomnie. Trop d'appréhension. Alors, il a simplement laissé une lettre à l'attention de ceux qui attendaient son récit. Un petit mot lu par le président : «Bonjour à tous, je tiens d'abord à m'excuser de mon absence, j'ai tout fait pour me convaincre de venir mais c'est au-dessus de mes forces.» Cela fait quatre ans qu'il «lutte pour [s]e reconstruire», vit avec ses «cicatrices» et ses «visions d'angoisse». Il se justifie : «Me retrouver dans cette atmosphère avec l'homme qui a failli arrêter ma vie, me tétanise.» Au cours de la lecture, Abdelhakim Dekhar se tient tête baissée, presque invisible derrière la vitre teintée du box. Jugé pour trois «tentatives d'assassinat» à BFM TV, à Libération et à la Société générale, il écoute attentivement les mots de l'unique blessé de son violent périple dans Paris. Sans jamais relever le visage.
«Je ne savais pas que j'étais touché»
Les faits remontent au 18 novembre 2013, à l'époque où Libé était encore situé au 11, rue Béranger dans le troisième arrondissement de Paris. Ce matin-là, César, assistant photographe de 23 ans, est présent afin de prêter main-forte lors d'une prise de vues. Celui que son employeur décrit comme «très travailleur, apprécié, d'une gentillesse absolue» effectue des allers-retours jusqu'au quatrième étage pour transporter du matériel. Il est 10h10 quand Abdelhakim Dekhar pénètre dans les locaux. A la barre, Lucas, agent d'accueil, se souvient d'une voix timide : «J'ai vu un homme entrer avec une sacoche en bandoulière. Je l'ai vu sortir un fusil.» A ce moment-là, il se plaque contre le mur. Une première balle fuse et vient se nicher dans le plafond. Lucas ferme les yeux mais aperçoit tout de même le tireur «avec un énorme manteau vert et une casquette».
La suite est racontée par César, dont le président lit les déclarations qu'il avait faites depuis son lit d'hôpital : «Je me suis retourné et j'ai vu les deux garçons du standard qui partaient en courant. J'ai vu un individu qui avait l'air d'un chasseur.» Lui aussi tente de se cacher, puis entend un second coup de feu. Quelques plumes sortent de sa doudoune. «Je ne savais pas que j'étais touché», dit-il. La scène dure quelques secondes. «Une minute peut-être», selon Morgan, l'autre standardiste. C'est alors qu'alerté par les détonations, Jean-Noël, responsable de la maintenance, sort de son bureau. Il voit César marcher quelques mètres puis s'effondrer. Pendant ce temps, Abdelhakim Dekhar s'en va, sans précipitation. «Il est très calme, il n'a pas l'air paniqué, il prend tout son temps pour partir.»
«Pourquoi moi ?»
Grièvement blessé au thorax par le tir qui l'a atteint dans le dos, César séjournera deux semaines à l'hôpital puis effectuera une longue convalescence. «Ça reste miraculeux, le projectile est passé à 2mm du cœur», dira-t-il aux policiers. Ensuite, il a dû reprendre le travail et continuer à vivre avec ses douleurs dans le dos, ses «cauchemars d'armes à feu» et les «jours où ça fait mal». Et puis cette question lancinante, celle qu'on se pose quand on a juste l'impression d'avoir «été au mauvais endroit au mauvais moment» : «Pourquoi moi ?» Désormais, tout l'enjeu sera de savoir si le tir était intentionnel, comme le soutient l'accusation. Ou accidentel, comme le plaide la défense. A l'ouverture de son procès, vendredi, Abdelhakim Dekhar avait parlé de «tragédie» et déclaré : «Le but était de m'en prendre à la structure, pas à la personne humaine.» Le jeune assistant photographe ne l'a pas entendu. Une fois encore, il était resté figé devant les grilles du palais, incapable de les franchir.