«Rien», prononce calmement Abdelhakim Dekhar, debout dans le box. Plus question de crime «romantique». Ni de diatribe politique. Ou même de «suicide altruiste» et «de mort scénarisée». L'accusé, coutumier des longues démonstrations, a, cette fois, fait le choix du minimalisme au moment où la cour se retire pour délibérer. Plus tôt dans la journée, l'avocat général, Bernard Farret, s'est attelé, quant à lui, à démontrer l'«intention de tuer». Après avoir évoqué les amnésies et différentes versions soutenues lors de l'instruction, il a assené : «Je dis que cette thèse de l'acte involontaire arrive un peu tard.»
C'est ainsi, que dans son réquisitoire de plus d'une heure, il a entrepris de retracer le périple d'Abdelhakim Dekhar, dans Paris, en novembre 2013, à l'aune de l'intention criminelle. A BFM TV, «tout a été fait pour tuer la victime [le rédacteur en chef visé par l'accusé, ndlr]», estime-t-il. «Abdelhakim Dekhar est arrivé avec une arme puissante, comparable à une arme de guerre», ainsi que de véritables munitions. Ensuite, à Libération, où Dekhar a grièvement blessé César, assistant photographe de 23 ans, le parquet a écarté l'argument de «la panique», développé par l'accusé pour expliquer le coup de feu. «Ça n'a pas de sens de dire que César s'est avancé vers lui. D'ailleurs, la victime a dit qu'elle avait tout fait pour se cacher. Et c'est bien de dos qu'il a été touché», s'est agacé Bernard Farret. Néanmoins, il demandera la requalification de la «tentative d'assassinat» en «violences volontaires avec préméditation» pour les faits survenus à la Société générale.
«Cache-misère»
Le magistrat a choisi de consacrer la deuxième partie de son raisonnement à la complexe personnalité de l'accusé, balayant immédiatement la thèse d'un «suicide par procuration» que ce dernier a soutenu tout au long des débats. «La défense a dit, durant l'instruction, que l'accusé avait agi pour des raisons politiques. A l'audience, on assiste à un revirement à 180° : c'est maintenant un acte suicidaire.» Le ministère public dénonce cette «teinture politique», cet «inventaire à la Prévert» où se croisent tous les combats «sans distinction» : «la lutte contre l'extrême droite, contre l'exclusion des demandeurs d'asile, contre la corruption et la destruction de la culture». Selon lui, ce n'est «qu'un alibi», une sorte de «cache-misère», pour masquer le «mobile plus profond» : «sa vie est une succession d'échecs» sur tous les plans, scolaire, professionnel, personnel. «Il a un ressentiment social, c'est ce qui explique qu'il se soit mis à tirer», soutient-il.
Finalement, il s'interroge sur les similitudes avec l'affaire Maupin (pour laquelle Dekhar a été condamné à 4 ans de prison en 1998) – «le fusil à pompe, la prise d'otage, la menace de carnage» – comme si l'accusé, en état de récidive, «était toujours habité» par ce dossier. Et requiert une peine de vingt-cinq ans de réclusion criminelle assortie d'une période de sûreté des deux tiers pour celui qui voulait «tuer les autres par dépit social».
Epopée
En début d'après-midi, la défense s'est dressée face aux vents contraires répétant «qu'il n'y a pas d'intention homicide». Me Hugo Lévy a repris, à son tour, l'épopée de son client pour faire la démonstration inverse : à BFM TV, Abdelhakim Dekhar «a mis le cran de sûreté» sur le fusil à pompe, il ne voulait pas tuer. «Vous n'avez, à titre de preuves, que des hypothèses et des incertitudes», lancent-ils aux jurés. En ce qui concerne Libé, il a distillé le même doute : «A-t-on la certitude quand il procède au second tir que c'est en vue de porter atteinte à la vie de César ? A-t-on la preuve que M. Dekhar a même saisi qu'il avait blessé César ?»
Pour son avocat, il est clair qu'à «aucune des étapes de son périple, Abdelhakim Dekhar n'a eu l'intention de tuer quelqu'un». Il parle d'un homme dont le «mode dépressif accentue la logorrhée» : «Monsieur Dekhar, n'est pas un tueur de masse, il n'a pas commis de carnage.» Mettant à distance les explications brumeuses de son client tout au long des débats, il mentionne plutôt «un délire altruiste». Avant de conclure : «il a tout foiré, son délire a foiré», et d'exhorter les jurés à lui «offrir une perspective» : «25 ans c'est l'effondrer de façon définitive.» Cependant, ces derniers ne l'ont pas entendu. Après neuf heures de délibéré, ils ont condamné l'accusé à 25 ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté des deux tiers, suivant ainsi les réquisitions de l'avocat général. A l'énoncé du verdict, Abdelhakim Dekhar est resté figé dans le box, le visage fermé.