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Libération
Récit

Le «tireur de Libé» voulait une «mort romantique» 

Au cinquième jour de son procès pour «tentatives d’assassinat», Abdelhakim Dekhar, 52 ans, s’est longuement exprimé sur les faits. Il nie toute préméditation et évoque «un suicide altruiste».
Abdelhakim Dekhar, durant son procès à la cour d'assises de Paris. Illustration Benoit Peyruq. AFP (AFP)
publié le 24 novembre 2017 à 7h15

Debout dans le box des accusés, Abdelkahim Dekhar, fixe la dernière photo du dossier projetée sur l'écran de la cour d'assises de Paris. Sans un mot, il contemple ce triste alter-ego réchappé d'une overdose médicamenteuse, quasiment méconnaissable avec son crâne rasé et ses yeux mi-clos. C'était le 20 novembre 2013 après qu'on l'a retrouvé gisant sur la banquette arrière de sa voiture dans un parking de Bois-Colombes. Une apothéose terminée sous couverture de survie, à mille lieues du véritable «spectacle», de la «mort scénarisée» qu'il avait imaginée en guise d'adieu. «Je venais de vivre un divorce douloureux. De perdre mon frère. Et d'être licencié pour des raisons syndicales. Imaginez un homme qui doit gérer ça», raconte-t-il aux jurés, sans émouvoir. Quitte à en finir, pas question de «s'immoler dans l'indifférence», de s'éteindre «dans l'anonymat». Abdelhakim Dekhar a opté pour un «suicide altruiste» : «Je voulais être abattu par la police. Pour moi, c'était un suicide par procuration».

Werther armé d’un fusil à pompe

C'est ainsi qu'à la qualification pénale de «tentatives d'assassinat», il préfère l'expression de «mort romantique» martelée à tout bout de champ. C'est donc un Werther armé d'un fusil à pompe qui a fait irruption le 15 novembre 2013, dans les locaux de BFMTV «pour impressionner les gens». Après avoir visé un rédacteur en chef («pour rendre crédible l'intimidation»), proféré des menaces de mort et déversé deux cartouches au sol, il est reparti. En vie et déçu : «Moi ce que je voulais, c'est la mort», commente-t-il sans mesurer l'incongruité de son récit. Alors, trois jours plus tard, il a retenté le coup à Libération. Un choix qui tiendrait à des raisons nostalgiques - la place de la République lui rappelait les manifestations de ses «trente cinq ans de militantisme» - et plus terre à terre : «C'était direct depuis Courbevoie». «A Libé, j'ai deux mots pour qualifier ce qui s'est passé : la confusion et la panique», résume-t-il. En effet, après l'échec de BFM, il ambitionne de «monter en puissance au niveau du son» et tire un premier coup de feu dans le plafond. Le second, atteint César, assistant photographe de 23 ans, qui frôlera la mort.

«Qu'est ce qui a créé la panique ?», interroge le président, Jean-Marc Heller. «Il venait vers moi, je l'ai vu arriver. Les autres ont obtempéré quand j'ai dit "déconne pas" ou "arrête". Pas lui». «Personne n'a entendu d'injonctions», souligne le président. Avant de rappeler que cette description ne correspond pas non plus aux déclarations des experts balistiques puisque César a été touché dans le dos. Peu importe, avec le ton de la logique implacable, l'accusé vêtu d'une chemise noire à fines rayures, cheveux en bataille et lunettes rondes, entraîne la cour d'assises dans cette épopée dont il est le héros. Il y aura les coups de feu de la Société Générale à la Défense, la prise d'otage de l'automobiliste, le final sur les Champs-Elysées. Abdelhakim Dekhar se gargarise de cette image d'Epinal d'une mort «romancée» et répète à l'envi le mot «tragédie» pour évoquer le blessé. Il n'est plus aux assises, il est sur les planches. Il ne répond plus d'un crime, il restitue son scénario, lui qui a «l'imagination si fertile».

 «On a l’impression que c’est vous la victime»

Finalement, au procès de la «mort romantique», on ne voit plus qu'un homme embrouillé dans ses grands mots, perdu dans ses idéaux, captif de ses illusions. Lorsqu'il tente de s'apitoyer sur César, c'est de lui-même qu'il continue de parler : «c'est monstrueux», «c'est une torture», une «souffrance». A tel point que le président s'agace : «On a l'impression que c'est vous la victime.» Les avocats des parties civiles rappellent, quant à eux, que, lors de l'instruction, l'accusé a reconnu la préméditation de son geste en détaillant précisément des repérages effectués à BFMTV et Libération. Abdelhakim Dekhar balaie d'un revers : c'était un «sketch», un «show» qui ne correspond pas à la réalité, il a inventé «face à l'hystérie médiatique». «Vous avez écrit "Crevez Charognes!" dans un mail au sujet de la presse», s'indigne Me Pierre-Randolph Dufau. Tandis que son confrère, Me Emmanuel Soussen, le tance: «Et César, c'était un "journalope" comme vous dîtes ?». Inflexible et sans jamais perdre son calme, Abdelhakim Dekhar s'en tient à un «ma démarche était purement spectaculaire». Et insiste : «A aucun moment, je n'ai eu d'intention homicide.» Reste à savoir si les jurés auront le même avis sur la «prestation» de novembre 2013. Le verdict est attendu vendredi soir, tard dans la nuit.