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Libération
Récit

Perturbateurs endocriniens : jugé pour avoir pourri l’air

Le procès de la communauté Melun-Val-de-Seine s’ouvre ce lundi pour mise en danger d’autrui. Dans le viseur : l’incinérateur qui a fonctionné malgré les mises en garde.
L’usine d’incinération de déchets de Vaux-le-Pénil a fonctionné durant vingt-huit ans (ici à Ivry-sur-Seine). (Photo Vincent Nguyen. Riva Press)
publié le 26 novembre 2017 à 20h36

«La première affaire judiciaire de perturbateurs endocriniens.» C'est ainsi que Pierre-Olivier Sur décrit le dossier de santé publique qui s'ouvre, ce lundi, devant le tribunal correctionnel de Paris. Le bâtonnier, avocat des parties civiles, représente 160 personnes, dont une dizaine atteinte de maladies graves, victimes des rejets toxiques émis pendant vingt-huit ans par l'incinérateur de Vaux-le-Pénil (Seine-et-Marne). Le principal danger pour eux : les dioxines. Ce terme générique désigne près de 200 molécules produites au cours de «processus thermiques accidentels» (incendies…) ou chimiques (fabrication d'herbicides…). Mais certaines, appelées aussi «polluants organiques persistants», sont décrites par l'Agence de protection de l'environnement américaine comme «hautement toxiques, pouvant causer des cancers, des problèmes de développement et de reproduction, endommager le système immunitaire et interférer avec les hormones». En bref, des perturbateurs endocriniens.

Or ces fameuses molécules ont été relevées dans les rejets de l'incinérateur dans des quantités «plus de 2 000 fois au-dessus de la norme», assure Pascale Coffinet, la maire de Maincy, à l'origine de la plainte : «Le taux de dioxines dans mon sang est élevé. Il a aussi été mis en évidence qu'à Maincy, nous avions, en 2003, les œufs les plus contaminés de la littérature scientifique.» Cette surexposition peut être, avec «une forte probabilité» selon le toxicologue Jean-François Narbonne qui a mené une étude sur des habitants de Maincy, à l'origine d'impacts sur le métabolisme et le système immunitaire humain. Elle peut provoquer des cancers et avoir des effets sur les enfants des mères riveraines de l'incinérateur.

A l’échelle de la France, l’Institut de veille sanitaire a établi une corrélation entre le niveau d’exposition aux incinérateurs dans les années 70-80 et l’augmentation de la fréquence des cancers dans les années 90-99 : chez la femme, sont concernés tous les cancers et notamment ceux du sein, et dans la population générale, les lymphomes non hodgkiniens, une maladie du système lymphatique. De même, des liens avec les sarcomes de tissus mous, des tumeurs cancéreuses rares, ont été remarqués.

«Décision»

Plusieurs habitants des communes concernées ont justement été atteints de tels maux, sans qu'il soit possible de déterminer si les rejets toxiques de l'incinérateur en sont la principale cause. Les cancers sont, par définition, d'origine multifactorielle. «J'ai reçu au moins une cinquantaine d'appels téléphoniques de familles en pleurs qui s'épanchaient sur leur détresse devant les souffrances dues aux lymphomes non hodgkiniens de leurs proches», témoigne Pascale Coffinet. Les avocats des parties civiles espèrent pouvoir créer une jurisprudence en gagnant ce procès. «C'est la première fois qu'une personne morale de la République est renvoyée devant le tribunal correctionnel pour un non-respect des normes d'un incinérateur, explique l'avocate Agathe Blanc, la collaboratrice de Pierre-Olivier Sur. C'est la première fois que la justice se penche vraiment sur le danger des perturbateurs endocriniens. La décision du tribunal pourrait avoir des impacts politiques.»

Pour les victimes, il a fallu s’armer de patience pour arriver à ce stade historique. L’affaire de Vaux-le-Pénil traîne dans les rouages de la justice française depuis une quinzaine d’années. C’est le 17 mars 2003 que Pascale Coffinet dépose plainte pour des faits de mise en danger de la vie d’autrui, blessures involontaires, et infraction au code de l’environnement. Cinq ans plus tard, Bernard Gasnos, en tant que président de la communauté d’agglomération de Melun-Val-de-Seine, chargé de la gestion de l’installation défectueuse, est mis en examen. Aujourd’hui, les faits de «poursuite d’une installation classée non conforme» et «mise en danger de la personne» ont été retenus par l’information judiciaire. Et pour cause, de 1965 au 15 juin 2002, l’incinérateur a fonctionné malgré les alertes données par la préfecture, les maires de différentes communes, ainsi que par des associations.

Volailles

Dès 1996, la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement remet au préfet de Seine-et-Marne un rapport indiquant que l'incinérateur est exploité dans des conditions «épouvantables». L'usine est tellement défectueuse qu'il coûterait trop cher de la mettre aux normes. La construction d'une nouvelle usine est alors décidée, mais le besoin de continuer à traiter les déchets pousse les administrateurs à ne pas fermer l'ancienne avant juin 2002. Cela en dépit de deux mises en demeure de la préfecture en septembre et décembre 2001.

Les pollutions étaient telles que la Direction départementale des services vétérinaires a même décidé d’éliminer de tout circuit de consommation les bovins d’un élevage situé près du site, et a déconseillé la consommation d’œufs et de volailles élevés en plein air.

Par ailleurs, d'autres substances dangereuses ont été émises par l'usine : du plomb ou du cadmium. «Les élus de l'agglomération melunaise nous ont trompés, ils savaient que l'incinérateur n'était pas aux normes, ils en riaient», assure Pascale Coffinet. C'était entre eux un sujet de mauvaises blagues. Le soir, lors des dîners en ville, on riait : «A Maincy, ils ont les fumées, nous, on a l'argent !» Le procès sera audienté pendant sept jours  sur une durée de trois semaines, avec un jugement prévu autour de février.