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Analyse

Corse : face à Paris, les «natios» bombent le torse

Largement en tête au premier tour des territoriales et favorite du second, la liste commune des nationalistes de la majorité régionale est bien partie pour piloter la future collectivité unique de l’île. De quoi peser dans un futur bras de fer sur l’autonomie.
L’indépendantiste Gilles Simeoni (troisième à droite), à l’annonce des résultats des élections, dimanche. (PHOTO PASCAL POCHARD-CASABIANCA. AFP)
publié le 4 décembre 2017 à 20h46

«Si passa qualcosa.» Il se passe quelque chose, en Corse. La petite phrase - utilisée à longueur de meetings par Jean-Martin Mondoloni, leader d'une des deux listes de droite en lice - en dit long sur les élections territoriales qui se déroulent cette semaine sur l'île. Dimanche soir, la formule incantatoire est revenue comme un boomerang en direction de son auteur, qui a fini deuxième du premier tour (14,97 %). Loin, très loin derrière la liste de la coalition Pè a Corsica, alliant l'autonomiste Gilles Simeoni et l'indépendantiste Jean-Guy Talamoni. Les observateurs annonçaient depuis des semaines une victoire des nationalistes corses, aux commandes de la région depuis décembre 2015. Les résultats du premier tour ont dépassé toutes les prédictions : 45,36 % des suffrages, 54 211 voix sur les 119 525 exprimées. De quoi se réjouir pour la majorité sortante. Et faire de l'humour : à 21 heures, alors que les résultats viennent de tomber, le facétieux Jean-Christophe Angelini ne résiste pas à la tentation. Sur Twitter, le conseiller exécutif sortant et numéro 3 de la liste Pè a Corsica chambre son adversaire de droite en lançant : «S'hè passatu qualcosa sta sera, innò ?» («Il s'est passé quelque chose ce soir, non ?»)

«Pas le temps de décevoir»

Non contents de confirmer leur place de grands favoris du second tour, les nationalistes s'offrent au passage le luxe de couper l'herbe sous le pied de leurs concurrents dans une élection aux enjeux inédits pour la Corse. Au cours d'une campagne assez terne, les adversaires des nationalistes n'ont eu de cesse d'agiter le chiffon rouge de la menace indépendantiste. L'idée d'un «front républicain» au second tour alliant les deux listes de droite et celle de La République en marche a pourtant fait long feu. Et pour cause : même en additionnant les scores (14,97 % pour la liste de droite de Jean-Martin Mondoloni, 12,77 % pour celle de Valérie Bozzi soutenue par LR et 11,26 % pour celle de Jean-Charles Orsucci investie par LREM), le trio ne parvient pas à se hisser à la hauteur des vainqueurs du premier tour. Un échec cuisant dû en partie à une campagne centrée sur des thèmes qui ne séduisent plus l'électorat corse. «Les opposants aux nationalistes ont fait le choix de s'inscrire dans un ancrage républicain en opposition avec le positionnement des nationalistes, analyse Andria Fazi, maître de conférences en sciences politiques à l'université de Corse. Le score du premier tour a prouvé que cette stratégie n'a pas fonctionné. D'une part, parce que les nationalistes n'ont pas eu le temps de décevoir au cours de leurs deux années passées à la tête de la région et qu'ils ont même réussi à rassurer l'électorat modéré. D'autre part, parce que cela a marginalisé toutes les autres problématiques de l'île : la précarité, l'environnement, l'emploi.»

Le tableau binaire présenté aux électeurs - celui d'une Corse indépendantiste face à une Corse républicaine - explique également en partie l'abstention record enregistrée ce dimanche (47,83 %). Derrière le slogan «Un paese da Fà» («un pays à construire»), la liste Pè a Corsica a ainsi axé son programme sur l'autonomie de l'île, la question de l'indépendance ayant été mise de côté pour le moment. Après des victoires «historiques» aux territoriales de 2015 et aux législatives de 2017, les nationalistes poursuivent sur leur lancée. «Ce score s'explique aussi par une déstructuration du paysage politique ancien, dit Andria Fazi. Les réseaux de proximité, socle de l'électorat des partis traditionnels de droite et de gauche, ne fonctionnent plus.» «L'ampleur du résultat est surprenante, glisse en souriant un militant nationaliste. Mais c'est vrai qu'en face, il n'y avait personne.»

«Fondamentaux»

«Un boulevard» ouvert par l'effondrement des opposants. La droite, minée par une guerre fratricide, n'a pas su se recomposer au cours des deux années passées dans l'opposition ; la gauche n'existe littéralement plus et Jean-Charles Orsucci, représentant du courant macroniste en Corse, n'a pas bénéficié de l'engouement national pour le mouvement. Quant aux communistes, avec un score de 5,68 %, ils ne seront carrément pas présents dans l'hémicycle de la collectivité unique.

De quoi mettre les nationalistes en position de force dans les discussions qui s'annoncent avec Paris. Jusqu'à présent, le gouvernement a opposé un silence à peine poli à toutes les revendications de la majorité territoriale. En arrivant aux affaires, les nationalistes avaient assuré «vouloir être les élus de tous les Corses», sans pour autant «oublier les fondamentaux» : co-officialité de la langue, amnistie des prisonniers politiques, statut de résident, transfert de compétences fiscales et inscription de la Corse dans la Constitution. Des revendications qui posent problème, dans la mesure où la plupart d'entre elles nécessitent une révision constitutionnelle. Depuis deux ans, les nationalistes ont opté pour une approche modérée, y compris dans les délibérations adoptées par l'Assemblée de Corse. Une large victoire aux élections territoriales pourrait changer la donne. Ils ont d'ores et déjà prévenu : «Cette fois, il faudra nous entendre.»