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Amendement Cigéo: les manières cavalières du gouvernement

Un amendement sur la fiscalité locale autour du projet de centre de stockage des déchets radioactifs avait été déposé au dernier moment au projet de loi de finances rectificative. Les députés, agacés par la méthode, ont obtenu son retrait.
Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'Etat à l'Economie (et Nicole Belloubet, Justice) à l'Assemblée nationale le 29 novembre. (Photo Patrick Kovarik. AFP)
publié le 7 décembre 2017 à 16h40

Emmanuel Macron a beau appeler de ses vœux un Parlement qui ne se contenterait pas de voter en cadence mais aurait le temps de corriger en profondeur les textes de loi puis de les évaluer, son gouvernement a bien du mal à appliquer ses bonnes résolutions. Dans ce «nouveau monde», les vieilles pratiques qui consistent à squeezer le débat parlementaire ont la vie dure.

Mercredi soir à l'Assemblée nationale, le gouvernement a dû retirer un amendement dégainé à la dernière minute sur la fiscalité locale du projet Cigéo d'enfouissement des déchets radioactifs. La nouvelle secrétaire d'Etat à l'Economie, Delphine Gény-Stéphann, pour son baptême du feu dans l'hémicycle, venait de passer un sale quart d'heure, essuyant les critiques de tous les bancs, y compris de sa majorité, sur la méthode cavalière employée pour faire passer cet ajout au projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2017.

Dans l'amendement en question, le gouvernement faisait le constat que la fiscalité autour du projet de centre de stockage Cigéo, implanté à Bure (Meuse), est «concentrée sur un nombre limité de collectivités territoriales peu peuplées» alors que les agglomérations de Bar-le-Duc, de Saint-Dizier et la région Grand Est n'en «percevraient qu'une part résiduelle». Il était donc question de redéfinir le modèle fiscal pour créer un mécanisme de «redistribution spécifique» : hausse du montant de la taxe de stockage, extension du périmètre de redistribution de cette taxe aux départements et aux régions concernés, puis concertation avec les collectivités pour en préciser les modalités.

Problème : ce dispositif faisait partie d'un paquet d'une quarantaine d'amendements déposés en quatrième vitesse par le gouvernement lundi, juste avant le début de l'examen du PLFR dans l'hémicycle. Les députés en ont donc eu connaissance au dernier moment, sans avoir eu l'occasion d'en discuter en commission des finances. «Je ne conteste pas la nécessité d'avoir un peu de souplesse mais on parle d'amendements assez lourds, qui ne comportent pas de chiffrage, prévient Eric Woerth, président (LR) de la commission des finances. Cela court-circuite la commission et le Conseil d'Etat.» En effet, alors que les articles d'un projet de loi doivent faire l'objet d'une étude d'impact, les amendements, eux, échappent à cet impératif. Pratique.

«Cheveu sur la soupe»

D'où la désagréable impression pour les députés d'être pris pour une chambre d'enregistrement. Ceux-ci ont fait part mercredi soir de leur mécontentement. «Vous demandez au Parlement de voter un amendement sur lequel on n'a aucun montant ?» s'est agacée Valérie Rabault (Nouvelle Gauche) s'adressant directement à la secrétaire d'Etat : «Jamais vous n'auriez fait cela dans le privé. C'est irresponsable.» Les députés LREM ont, à leur tour, regretté cette précipitation sur un amendement «qui arrive un peu comme un cheveu sur la soupe», a reconnu Matthieu Orphelin tandis qu'Emilie Cariou, élue de la Meuse, a pointé l'absence de «conciliation locale» et une «méthode pas vraiment acceptable». Les députés ont aussi souligné que le début de la phase pilote d'enfouissement étant prévue vers 2025, il n'y avait aucune urgence à trancher cette question. D'autant plus sur un sujet aussi sensible et controversé. Loïc Prud'homme (LFI) a ainsi dénoncé «les habitudes d'opacité de l'industrie nucléaire» et voit dans cette tentative de passage en force parlementaire «un aveu de l'échec à faire accepter l'inacceptable».

Car ce n'est pas la première fois qu'un gouvernement essaie de faire avancer en douce des projets liés à Cigéo. En juillet 2015, un amendement sur le sujet avait déjà été injecté à la dernière minute… à la loi Macron. Et ce juste avant son adoption finale en 49.3. Il s'agissait alors d'ouvrir la voie à une phase transitoire de stockage des déchets radioactifs sur le site de Bure. Cette disposition avait d'abord été inscrite à l'avant-projet de loi «pour la croissance et l'activité», peu avant sa présentation en Conseil des ministres. Mais le ministre de l'Economie de l'époque, face à la colère des parlementaires EE-LV, y avait renoncé. Puis les sénateurs avaient réintégré l'amendement, à nouveau rejeté par les députés. L'amendement était donc revenu par la fenêtre dans la version finale du texte sous la forme d'un joli «cavalier législatif» – disposition qui n'a rien à voir avec l'objectif de base d'une loi –, avant d'être retoqué par le Conseil constitutionnel. Une proposition de loi a fini par être votée en juillet 2016.

Mercredi soir, après une suspension de séance durant laquelle le groupe majoritaire a lui-même demandé le retrait de l’amendement sur la fiscalité Cigéo, Delphine Gény-Stéphann a préféré faire marche arrière.