Réputée pour son franc-parler au sein de la mouvance indépendantiste, Jeannine, retraitée de 64 ans, dont la fille, 42 ans, entame sa dix-septième année de détention à Roanne (Auvergne-Rhône-Alpes), témoigne du quotidien des familles de prisonniers basques. «Avec les remises de peine, Lorentxa sortira de prison en 2023. Toutes ses demandes de liberté conditionnelle et de confusion des peines sont systématiquement rejetées du fait de son appartenance à une "organisation terroriste". Nous ne sommes pas dans le droit mais dans une forme d'acharnement», accuse-t-elle dans un café près de la gare de Bayonne. Jeune femme «calme et posée», Lorentxa a grandi «dans une famille attachée à l'identité basque». «Petite, elle est allée à l'ikastola [école basque, ndlr] pour grandir en apprenant l'euskera [le basque, ndlr]. Pour ceux de ma génération, il était interdit de parler basque en dehors de la maison», poursuit-elle.
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«Comme des centaines de familles», Jeanine et son compagnon ont appris «du jour au lendemain» l'engagement de leur fille dans la lutte armée. Etudiante en anthropologie, elle a mis ses parents «devant le fait accompli». «Elle l'a fait pour nous protéger. Ça remue. On savait très bien comment ça pouvait se terminer : dans le meilleur des cas en prison.»
«Le coût minimum d’une visite, c’est 300 euros»
Bayonne-Roanne : 1 200 kilomètres aller-retour. «Nous faisons ce trajet une fois par semaine. Les parloirs commencent le vendredi après-midi et se terminent le dimanche soir. On a droit à trois parloirs de deux heures. Qu'il neige ou pas, on démarre en voiture le vendredi après-midi pour être sur place le samedi matin à 8 heures. On reprend la route le dimanche après le parloir du matin pour être le soir à la maison.» Seize heures de route au compteur. «Nous sommes retraités. On a le lundi et le mardi pour se reposer. Pour nos enfants, ses amis, ça veut dire reprendre le travail le lundi», détaille Jeannine. Elle ajoute : «A Roanne, il n'y a pas de maison d'accueil pour les familles donc c'est l'hôtel. Le coût minimum d'une visite, c'est 300 euros».
A la fatigue s'ajoute l'humiliation de la fouille à nu imposée à leur fille à chaque retour de parloir. «Pendant ce temps nous sommes confinés dans une pièce. Le moment chaleureux où l'on s'est retrouvés, touchés, embrassés, est souillé par ça. Ensuite sa cellule est entièrement fouillée avec des chiens pour détecter de la drogue et d'éventuels explosifs alors qu'ETA a abandonné la lutte armée depuis six ans. Depuis le mois d'août, elle et ses camarades sont réveillés la nuit toutes les deux heures [une mesure destinée à prévenir les tentatives d'évasion, ndlr]. La Ligue des droits de l'homme a dénoncé ces actes comme de la torture.» Malgré tout, il faut tenir : «Physiquement, moralement, c'est difficile mais le pire c'est que Lorentxa et ses compagnons sont incarcérés depuis si longtemps. Au fil du temps, cela n'a fait qu'amplifier ma détermination et ma colère. Ça me sert de moteur pour continuer.»
«Chaque fois qu’on prend une arme, on fait du mal»
Ce samedi, Jeannine participera à la manifestation à Paris. «La mobilisation devrait être importante. Les prisonniers sont des militants politiques qui ont choisi la lutte armée. Chaque fois qu'on prend une arme, on fait du mal. Il y a des victimes de part et d'autre. C'est une évidence. La journée du 8 avril est un moment important. Toutes les personnes qui se sont rassemblées ce jour-là à Bayonne pour exprimer leur soutien étaient venues dire : on a envie d'autre chose. Cet "autre chose" ne peut pas exister sans la libération des prisonniers. Ce n'était pas seulement le silence des armes mais la possibilité de construire ce pays. Nos prisonniers ne doivent pas sortir comme des droits communs mais comme des militants. Certains ont passé près de trente ans en prison. Si ce n'est pas le cas, il y aura une accumulation d'amertume chez leurs enfants, leurs proches, leurs familles.» Les blessures mal cicatrisées finissent toujours par s'infecter.