L'instance dirigeante du Medef a tranché : Jean-Dominique Senard, l'actuel PDG de Michelin et candidat potentiel à la succession de Pierre Gattaz, ne pourra pas se présenter à la présidence du Medef. Dans un vote à bulletin secret et à la majorité simple, le conseil exécutif du mouvement, qui réunit 45 membres, a répondu négativement et sans appel, par 30 voix contre et 15 pour, à la proposition alambiquée de Pierre Gattaz d'envisager «l'opportunité d'ouvrir les candidatures potentielles pour l'élection de juillet». Autrement dit, de modifier les statuts du mouvement afin de permettre à ce patron très expérimenté et apprécié des élites politiques et économiques françaises de devenir le futur patron des patrons.
Cette question de la succession de Pierre Gattaz avait viré au casse-tête juridico-corporatiste depuis que l'actuel patron du mouvement patronal a pris fait et cause pour le patron de Michelin. Les statuts du Medef modifiés par Pierre Gattaz après son arrivée en 2013 pour interdire au président de faire un deuxième mandat stipulent en effet que les candidats ne peuvent être âgés de plus de 65 ans le jour de l'élection. Or Jean-Dominique Sénard fêtera son 65e anniversaire le 7 mars, soit quatre mois avant la date du scrutin.
Dès lors, soit le comité exécutif fermait la porte à tout changement de ses statuts en mettant définitivement fin à l’hypothèse d’une candidature de Jean-Dominique Senart, ce qu’il a fait. Soit il estimait qu’il est de l’intérêt du mouvement de laisser un candidat atteint par la limite d’âge se présenter. Il aurait dû alors soit «préciser» l’article 16 de ses statuts afin de se passer d’une ratification incertaine de son vote en assemblée générale (560 votants), soit plus probablement les modifier en les faisant dans ce cas avaliser par les deux tiers de ladite assemblée générale. Deux pistes qui n’ont désormais plus lieu d’être avec le vote de lundi soir.
Il «prend acte de cette décision»
Dans un communiqué succinct, le Medef se contente de confirmer le calendrier de la procédure assez complexe de renouvellement de son président. Début mai, le «comité statutaire» du Medef, sorte de conseil des sages veillant au respect des statuts et procédures du mouvement validera les candidats à un nouveau conseil exécutif élu dans la foulée par l’assemblée générale (560 votants). Ce conseil exécutif entendra ensuite les différents candidats déclarés à la succession de Pierre Gattaz et donnera son avis sur chacun d’entre eux avant une élection du nouveau président par tous les adhérents prévue le 3 juillet.
Ce vote négatif rappelle l’activisme de l’ex-patronne du Medef, Laurence Parisot, qui avait tenté, sans y parvenir, de modifier les statuts quelques semaines avant la fin de son deuxième mandat début 2013 pour être candidate à un troisième. Il s’agit d’un coup dur pour Pierre Gattaz qui, sans le dire officiellement, avait une préférence nette pour le patron de Michelin, sur lequel il comptait pour redynamiser le Medef.
Bien que Jean-Dominique Senard n'avait jamais exprimé publiquement le souhait de succéder à Pierre Gattaz, sa candidature putative était, elle, un secret de polichinelle. Cet ancien directeur financier avait confié la semaine dernière au Figaro avoir envisagé de se présenter mais sans pouvoir le faire «en l'état». «Pour moi, il est hors de question de remettre en cause cette règle. Je suis opposé à une modification ou à une interprétation des statuts», avait-il assuré. Il attendait en réalité le résultat du vote de ce lundi soir avant de se lancer ou pas dans la bataille. En cas de réponse nette en sa faveur, il ne doutait pas que l'on puisse trouver «d'autres solutions» afin de lui permettre de se présenter. Dans un communiqué, ce dernier «prend acte de cette décision. Je confirme donc que je ne serai pas candidat tout en poursuivant avec énergie mon engagement personnel au service des entreprises et de la transformation de notre pays».
«Patronat d’en haut»
Parmi les 45 votants du jour, 22 étaient des présidents de branches professionnelles, les plus gros financeurs du Medef réputés plus favorables à une candidature du PDG de Michelin. Les représentants des Medef territoriaux (10 représentants du conseil) étaient en revanche opposés à ce que certains d'entre eux n'auraient pas manqué de dénoncer comme une manipulation des statuts. Il semble que le soutien public de grands patrons et de différents médias à la candidature du PDG de Michelin ait au final désavantagé celui dans lesquels ses opposants voyaient un candidat du «patronat d'en haut».
Deux patrons des Medef territoriaux sont d'ailleurs déjà des candidats déclarés à la succession de Pierre Gattaz : Patrick Martin, le président du Medef Auvergne-Rhône-Alpes, patron de PME à la tête de l'entreprise familiale de distribution de fournitures industrielles et Frédéric Motte, à la tête lui aussi d'une PME dans la région des Hauts-de-France dont il vante la tradition «catholique et sociale».
Ce dernier s'alarmait récemment de «l'image donnée par le début de la campagne pour la succession de Pierre Gattaz», une pique à l'encontre du patron des patrons actuel. Deux profils très différents de celui du grand patron industriel Jean-Dominique Senard dont la hauteur de vue, l'engagement en faveur du dialogue social et de la formation et la grande expérience des dossiers internationaux faisait généralement forte impression auprès de ceux qui l'approchaient.
Lors d'un déjeuner parisien organisé par le mouvement patronal Ethic en septembre auquel assistait Libération, on avait pu s'en rendre compte. «C'est quand même autre chose intellectuellement que Pierre Gattaz, avait confié un jeune patron à la sortie de cette réunion, enfin quelqu'un qui pourrait donner une image moderne et ouverte du patronat si peu apprécié dans notre pays. Un patron de plain-pied dans la mondialisation tout en maintenant une forte assise locale avec le siège de Michelin à Clermont-Ferrand, c'était un représentant idéal».
Sortie ratée pour Gattaz
D’autres candidats devraient maintenant se dévoiler dont Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du Medef, ancien créateur de l’ex-opérateur virtuel Virgin Mobile, fondateur de Notus Technologies et dirigeant d’Olivier & Co. Déjà candidat malheureux en 2013 avant de se rallier à Pierre Gattaz, ce dernier est apprécié de bon nombre d’élus du Medef et fait figure de favori. Mais le soutien des grandes fédérations professionnelles est loin de lui être acquis.
On évoque également les candidatures de Christian Nibourel, qui dirige la fédération du GPS (Groupement des professionnels des services) et celle d’Alexandre Saubot, président de l’UIMM, la fédération de la métallurgie. Pour Pierre Gattaz qui a refusé d’envisager une modification des statuts voire de démissionner prématurément afin de laisser la voie libre à Jean-Dominique Senard tant que celui n’était pas atteint par la limite d’âge, la sortie est ratée. Les six mois qu’il lui reste à passer à la tête du Medef risquent de lui sembler longs.