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Orientation

Bien flous, les «attendus» pour accéder à l’université

Même les organisations syndicales favorables au projet de réforme de l’accès aux études supérieures, débattu depuis mardi à l’Assemblée, s’inquiètent du cadrage national des compétences attendues des lycéens pour intégrer les licences universitaires.
Une salle de classe vue depuis un hublot à l'université de Mont-Saint-Aignan, près de Rouen, le 11 octobre. (Photo Charly Triballeau. AFP)
publié le 13 décembre 2017 à 18h36

Ils seront l'une des grandes nouveautés du processus d'orientation des futurs bacheliers : les «attendus», c'est-à-dire la liste des compétences et capacités qui seront mobilisées dans les licences générales à l'université, ont été publiés par la ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, mardi, jour du lancement des débats parlementaires sur la réforme de l'accès à l'enseignement supérieur. Selon le gouvernement, le taux d'échec ou de réorientation en première année (jusqu'à 61% en licence) ainsi que la polémique autour du tirage au sort mis en place pour départager des candidats trop nombreux dans des filières trop peu dotées en places (Staps, préparation aux études médicales, psychologie…) justifient de réformer le mode d'entrée dans les études supérieures.

Pour chacun des vœux que les lycéens formuleront sur la nouvelle plateforme Parcoursup, qui remplace APB, les universités visées pourront accepter de manière ferme ou conditionnelle («oui mais», auquel cas les étudiants devront suivre des modules de remise à niveau) l'inscription du futur étudiant. Si la filière est déclarée «en tension», car objet de beaucoup plus de demandes que de places, les établissements pourront aller jusqu'à refuser d'attribuer une place à un lycéen ou à un étudiant en réorientation dont les chances de réussite seront jugées trop faibles.

C'est donc le but de la mise en place de ces «attendus», auparavant dénommés «prérequis» : permettre à la fois aux lycéens de savoir sur quoi ne surtout pas faire l'impasse pour réussir à suivre, une fois arrivés dans l'enseignement supérieur, et, d'autre part, donner aux professeurs de terminale des clés afin d'éclairer les avis qu'ils doivent rendre sur les vœux des lycéens. Or, le texte publié mardi est peu clair, s'inquiètent plusieurs acteurs du monde lycéen et universitaire. Michel Lussault, ancien président du Conseil supérieur des programmes, plus proche de l'ancienne ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, que de son successeur Jean-Michel Blanquer, s'est ému dans un tweet : «Les attendus, pour toutes les licences, sont tellement génériques que soit on les respecte et personne ne les possède, soit on ne les respecte pas et ils ne servent à rien. Je crois que cela montre l'impasse dans laquelle on s'est engagé.»

Des disparités entre les universités

C'est en effet aux universités de préciser, pour chacune de leurs filières, le cadrage national. Elles pourront faire varier le poids de chaque indicateur (bulletin de notes, preuves d'un engagement dans une association, lettre de motivation…) dans leur évaluation de chaque dossier, et devront indiquer sur la plateforme Parcoursup quels sont les critères retenus. Pour Lila Le Bas, présidente de l'Unef, syndicat lycéen opposé au projet du gouvernement et récemment détrôné par la Fage (qui y est, elle, favorable), cette méthode «va entraîner une concurrence entre les universités, selon les critères qu'elles vont privilégier. Cela peut créer de la confusion pour les lycéens, car ce ne seront pas les mêmes attendus dans différentes universités pour la même filière». Même la Fage s'est inquiétée d'un «cadrage non restrictif [qui] donne beaucoup de lattitude aux universités au risque d'une définition locale polarisée et très inégale en fonction des établissements», selon des propos rapportés par le Monde.

Autre crainte de la militante : avec ces critères, «très axés sur les bacs généraux, on sent la volonté d'exclure les bacs professionnels et technologiques des licences. [Certains critères peuvent] dissuader des jeunes de réaliser leur projet d'études et d'orientation.» Frédérique Rolet, secrétaire générale du syndicat du secondaire Snes, défavorable au projet, estime que ce cadrage national «va permettre à certaines universités de mettre des attendus beaucoup plus restrictifs. Pour les filières en tension, les attendus vont éliminer un certain nombre de candidats : les bacheliers littéraires vont être dissuadés de s'engager en psychologie ou en Staps [les lycéens étudiant en filière L n'ont qu'une heure et demie de sciences en première et pas en terminale, alors que ces connaissances sont mobilisées dans les filières en question, ndlr]. On règle le problème en écartant certains de leur projet. Je trouve cette forme de sélection assez hypocrite».

«Qui va certifier ces compétences ?»

Au contraire, Stéphane Crochet, secrétaire général du SE-Unsa, estime que «dire aux lycéens en 1ère de ne pas traiter la SVT par-dessus la jambe, c'est dans leur intérêt quand même. Pour la première fois, on dit de façon claire aux étudiants et à leurs familles ce qu'il faut faire pour réussir dans une filière du supérieur». Mais s'il est globalement en faveur de ce «nouvel objet», il craint que sa formulation en termes de compétences ne soit difficilement lisible. «Comment nos élèves vont comprendre ce qui est écrit ? s'interroge-t-il. C'est difficile pour eux de connecter [les compétences] avec leurs travaux et évaluations scolaires. Quand il est question de l'autonomie, de l'esprit curieux, de l'esprit de synthèse, des démarches documentaires… Ce sont des vraies compétences pour réussir dans le supérieur, mais on mesure l'écart avec ce qui est compris dans l'attitude scolaire du lycéen.»

«Qui va certifier ces compétences ? Est-ce une auto-évaluation du bachelier ? C'est une orientation par l'échec : pour ceux qui seront sûrs d'eux et bien accompagnés, ça ira, mais pour ceux qui sont plus dans le doute…» questionne de son côté Hervé Christofol, du Snesup-FSU, qui appelle à ne pas participer à cette «mise en place de la sélection» dans un tract daté du 12 décembre. «Est-ce que les lycéens vont devoir soumettre des CV et des lettres de motivation ? C'est un véritable recrutement qu'on est en train de faire, alors que la poursuite d'études dans le supérieur est un droit», s'agace-t-il. Même idée chez Frédérique Rolet : «En Paces [première année commune aux études de santé, ndlr] par exemple, il y a des compétences comportementales qui sont difficilement évaluables. Il y en a d'autres qui sont inégalitaires du fait des origines sociales, comme avoir travaillé dans une association, ce qui dépend beaucoup de l'endroit où on se trouve.» 

Selon Stéphane Crochet, l'outil proposé par le gouvernement pourrait être plus précis. Des exemples de situations scolaires pourraient être ajoutés aux compétences pour mieux les évaluer, suggère-t-il. Et il insiste sur le rôle de l'encadrement : «Lors des semaines de l'orientation, il faudra des représentants de ces filières universitaires pour expliquer davantage. Les professeurs vont aussi devoir se faire expliciter les choses.» Pour Frédérique Rolet et Hervé Christofol, le baccalauréat devrait suffire à évaluer les lycéens et leur culture générale. Mais pour le gouvernement, il n'en est plus question.