Drôle d'idée, tout de même. On a bien compris que la location d'une salle dans le château de Chambord (800 euros, dit-on) n'avait rien d'exorbitant, pas plus que le prix des chambres dans le gîte rural et royal attenant, et que le tout a bien été réglé sur fonds privés et non sur deniers publics. Mais le simple énoncé de Chambord, demeure préférée de François Ier, scène choisie pour le 40e anniversaire d'Emmanuel Ier, irrite quelque peu les oreilles républicaines. On ne demandera pas que la cérémonie soit tenue à l'avenir dans une Bourse du travail ou dans une salle de mairie au Kremlin-Bicêtre. Peut-être quelque chose entre les deux…
En majesté
Emmanuel Macron avait théorisé à l'avance son goût du décorum. Les Français, avait-il expliqué, gardent une nostalgie monarchique, veulent un pouvoir en majesté. Ils ont guillotiné le roi mais se demandent depuis deux siècles par qui ou par quoi le remplacer. Ils ont inventé avec de Gaulle cet hybride institutionnel, mi monarchie mi démocratie, qu'est la Ve République. Le Président en a endossé les habits avec détermination, sûr qu'il fallait à ce pays inquiet un quinquennat jupitérien. Au même moment, la déclaration de patrimoine remplie par les ministres, selon la loi, fait apparaître une certaine concentration de fortune au sommet de l'Etat. Aucun doute, nous ne sommes pas gouvernés par des fauchés… Mais c'était déjà ainsi, avec plus ou moins de différences, dans les gouvernements précédents. On ne cherchera pas noise aux ministres qui ont tenu auparavant des fonctions rémunératrices qui reflètent plus leur compétence que leur héritage. On remarquera même, avec un soupçon d'ironie, que l'un des plus prospères est aussi celui qui est classé en général le plus à gauche, Nicolas Hulot, et que le plus modeste des membres de cette équipe, Gérald Darmanin, vient lui d'une droite affirmée.
Président et gouvernement des riches ? Sur ce point, rien n’a changé : on est d’abord ce qu’on fait. Après avoir réduit l’ISF aux biens immobiliers et instauré une «flat tax» au profit des détenteurs de revenus du capital, libéralisé le marché du travail, le gouvernement pâtit ce week-end d’une coïncidence fâcheuse : il déroule le tapis rouge fiscal aux traders londoniens tentés de quitter la Grande-Bretagne pour cause de Brexit mais oppose une fermeté très policière aux réfugiés qui essaient d’entrer en France, au moyen de raides circulaires dénoncées par toutes les associations. Contraste symbolique qui montre de quel côté penche le cœur du nouveau pouvoir. Et pourtant les Français ne semblent guère lui en tenir rigueur. Dans plusieurs sondages, la cote de popularité remonte nettement dans tous les secteurs de l’opinion, une première depuis très longtemps. On peut invoquer l’atmosphère consensuelle créée par les hommages, l’un bourgeois, l’autre populaire, rendus à Jean d’Ormesson et à Johnny Hallyday. Dans les deux cas, Emmanuel Macron a prononcé un discours qui n’a mécontenté personne. Mais c’est une explication un peu courte.
Disposition d’esprit
On peut aussi constater le prestige acquis par le Président à l'extérieur, grâce à quelques formules bien senties («Make the planet great again») et surtout par un activisme déployé sur le front du climat ou dans les relations complexes avec les monarchies du Golfe. Mais l'essentiel n'est pas là. La cause première de la fortune de Macron (dans les enquêtes d'opinion, s'entend) est probablement psychologique. Le Président, appuyé sur une reprise économique qui s'est manifestée trop tard pour son prédécesseur, a su faire souffler sur l'opinion un vent d'optimisme. Pour la première fois depuis longtemps, les Français pensent que les choses peuvent s'améliorer dans la situation du pays. Ils le veulent tout autant. La déclaration de François Hollande, qui a dit souhaiter la réussite du nouveau quinquennat, pourrait être contresignée par beaucoup d'électeurs, qui ont pourtant voté pour lui par défaut, ou qui ont voté pour quelqu'un d'autre. Ce redressement, s'il se confirme, aboutira sans doute à une société plus inégalitaire qu'elle ne l'était auparavant. Mais cette disposition d'esprit change la donne. En d'autres termes, l'opposition, aussi justes que soient ses arguments, a des cheveux à se faire.