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Interview

Sébastien Lecornu : «Macron, c’est un joueur de tennis qui monte au filet»

Le jeune secrétaire d’Etat, cadet du gouvernement, accumule les contradictions. Elu rural, il est rattaché au ministère de la Transition écologique. Débarqué à LREM depuis LR, il pense pouvoir rassembler de Sens commun jusqu’au PS.
Au ministère de la Transition écologique et solidaire, à Paris, le 7 décembre. (Photo Roberto Frankenberg pour Libération)
publié le 17 décembre 2017 à 18h36

Benjamin du gouvernement, le secrétaire d’Etat auprès de Nicolas Hulot accumule les records de précocité. Avant sa nomination au gouvernement à 31 ans, Sébastien Lecornu a été, en 2008, le plus jeune conseiller ministériel (au cabinet de son mentor Bruno Le Maire), puis, en 2015, plus jeune président de conseil départemental (de l’Eure), alors qu’il avait été élu maire de Vernon un an plus tôt. Exclu du parti Les Républicains avec son ami Gérald Darmanin, il a adhéré à LREM le 25 novembre.

Ministre à 31 ans. D’où vient cette ambition précoce ?

Je ne m'imaginais pas exerçant si tôt des fonctions gouvernementales. En revanche, j'ai très tôt voulu être maire de ma ville, Vernon [dans l'Eure, ndlr]. J'y pensais déjà quand j'étais lycéen. Je suis issu d'une famille d'origine populaire, agriculteurs et commerçants à Elbeuf, en Seine-Maritime. Personne ne faisait de politique, mais la politique était présente. Mon grand-père maternel était résistant dans le Calvados. De tous les vieux messieurs qui se retrouvaient au monument aux morts, il était celui qui avait le plus de médailles. J'en étais fier.

Et vous voilà à l’Ecologie, vous, l’élu de terres rurales et anciennes du cabinet de l’ex-ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire. Un peu à contre-emploi, non ?

Il est vrai que mon logiciel est plutôt celui du monde agricole et des territoires. Je suis tenant d’une écologie pragmatique qui croit plus à la preuve qu’aux slogans. Les questions écologiques, je les ai connues comme président du département de l’Eure. Je sais réduire l’empreinte d’un projet routier, protéger les espaces naturels sensibles. Je me suis investi dans certains projets emblématiques, comme «La Seine à vélo».

La droite dont vous assumez l’héritage n’est-elle pas hostile à une sortie accélérée du glyphosate ?

Ce ne sont pas des sujets de gauche ou de droite. Nous devons respecter les agriculteurs, reconnaître qu’ils ne peuvent pas se passer de ce produit du jour au lendemain, tout en préservant leur santé et celle de l’ensemble des Français. C’est pourquoi on s’est donné trois ans. L’Inra nous dit que c’est possible. Le pragmatisme, c’est une des marques de fabrique d’Emmanuel Macron. Il l’a démontré lors du One Planet Summit, mardi. Nous voulons identifier les bonnes pratiques pour les démultiplier et innover en matière financière pour lutter très concrètement contre le dérèglement climatique.

A Notre-Dame-des-Landes, cela donne quoi, les bonnes pratiques ?

Nous allons prendre une décision. Rapidement. Sur ce dossier très ancien, une mission vient de nous éclairer sur toutes les options. Nous allons trancher d’ici à la fin janvier. C’est ça, la nouveauté : après des décennies d’atermoiements, nous allons décider.

Dans l’opposition entre le ministre de l’Agriculture, Travert, et celui de l’Ecologie, Hulot, vous avez choisi votre camp ?

Je n’ai pas de «camp» à choisir. Les deux ministres se parlent. J’ai lu à ce propos des choses étonnantes. Les médias veulent absolument raconter cette histoire. La vérité c’est que Nicolas Hulot est très apprécié de ses collègues. Que Stéphane Travert soit le porte-parole des inquiétudes du monde agricole, c’est dans l’ordre des choses, cela fait partie de sa mission.

Le soir du premier tour, quand votre mentor Bruno Le Maire s’est dit prêt à travailler avec Emmanuel Macron, on vous a vu hésiter à le suivre…

Le candidat Macron incarnait ce que j’ai voulu porter en soutenant Bruno Le Maire à la primaire de la droite. Un visage nouveau, libéral et européen. Entre les deux tours, il y a eu son fameux passage à l’usine Whirlpool. J’ai retrouvé la manière d’affronter les difficultés de Nicolas Sarkozy. Tout cela m’inspirait plutôt de la sympathie. Puis on a commencé à entendre qu’Edouard Philippe pourrait aller à Matignon. Au début, je n’y croyais pas…

Pourquoi ?

Parce que nommer un Premier ministre issu de LR, c’était beaucoup plus que de l’ouverture. On n’avait jamais vu ça. Quand j’ai compris que le président de la République mettait vraiment en œuvre la recomposition, j’ai considéré que je devais répondre à sa main tendue. D’autant que la rupture avec certains dirigeants de LR était consommée, puisqu’ils refusaient de choisir en Le Pen et Macron.

Il ne peut pas ne rien y avoir entre Macron et Le Pen, disent vos anciens amis. N’est-ce pas légitime ?

Encore faut-il que ce soit crédible. Les élus LR n’étaient pas obligés de dire qu’ils rejoignaient la majorité En Marche. On ne leur a jamais demandé ça. On disait juste : laissons sa chance à ce Président, la situation est historique, le projet qu’il porte converge avec ce que nous voulons et l’un des nôtres est à Matignon. Au lieu d’avoir une attitude constructive, la droite s’est tout de suite barricadée dans une opposition brutale et stérile.

La droite, c’est fini ?

J’ai aimé Sarkozy parce qu’il incarnait le pragmatisme face à un PS qui se raccrochait à de vieilles lunes. J’ai adhéré à cette droite des résultats qui parle au monde économique et aux catégories populaires. Mais aujourd’hui, celui qui doit être jugé sur rien d’autre que ses actes, celui qui va aux résultats comme le joueur de tennis monte au filet, c’est Emmanuel Macron.

Chez vous, dans l’Eure, vous êtes toujours le patron de la droite. Comment cohabiter avec ceux qui ont voté Wauquiez ?

Sur ma liste pour les municipales, à Vernon, j’ai rassemblé de la gauche jusqu’aux veilleurs de la Manif pour tous. Il est vrai que la droite très traditionnelle ne se reconnaît pas dans le président de la République. J’essaie de les convaincre que seuls les résultats comptent. Les Français sont comme saint Thomas. Ils demandent à voir. Quand ils ont vu les ordonnances sur le droit du travail, certains électeurs de droite se sont dits : bon sang, il le fait vraiment ! Et ce, tout en veillant à préserver notre modèle social.

«La poutre travaille encore», comme dit Edouard Philippe à propos de la recomposition ?

Je suis resté président du groupe majoritaire au conseil départemental de l’Eure. Mon binôme au département, Catherine Delalande, élue en même temps que moi, est la représentante de Sens commun dans l’Eure. Mon successeur à Vernon, François Ouzilleau, reste militant LR. Je respecte leur engagement et ils respectent le mien. Nous ne sommes pas d’accord sur tout mais l’amitié existe en politique ! Il est clair que certains ne me suivront pas au niveau national. Mais d’autres sont tentés de le faire. Je les laisse libres.

On nous explique que Wauquiez est intelligent et que donc, il saura rassembler. Qu’en dites-vous ?

En tout cas, il a commencé par nous virer. Nicolas Sarkozy nous a toujours dit : un chef, c’est quelqu’un qui rassemble. Wauquiez, lui, n’a pas d’autre choix que de continuer la droitisation. Il n’a pas d’espace pour un recentrage. Sa priorité, c’est de récupérer les électeurs du FN, selon lui moribond.

Wauquiez et ses amis parient sur un échec de Macron ?

C’est leur unique espoir. C’est pourquoi il n’y a jamais eu le début d’une réflexion sur l’idée de laisser sa chance au président de la République. Un des nôtres étant à Matignon, LR aurait pu envisager de se donner le temps de voir… Mais non. Il fallait nous exclure. C’était la priorité. Et tout ça parce que Wauquiez veut être candidat en 2022. Je ne critique pas son ambition personnelle. En attendant, il installe des crèches de Noël dans son hôtel de région… Il multiplie les gestes pour solidifier son socle identitaire. Mais sur ce terrain, il ne surprendra pas. Il ne fera que répéter des choses entendues cent fois. C’est cette droite qui se fait plaisir dans les meetings de salles des fêtes. Wauquiez a beau être jeune, son problème, c’est qu’il ne voit pas le monde tel qu’il est.

D’où cette surreprésentation des personnes âgées dans les meetings de LR ?

Ce n’est pas une question d’âge. J’ai beaucoup de respect pour ces militants qui prennent la peine de se déplacer. Mais la droite, cela n’a pas toujours été ça. Souvenez-vous des meetings de Sarkozy en 2007. Aujourd’hui, la droite mobilise la France qui a peur et non pas celle qui espère. Cette peur, c’est le carburant de Wauquiez.

Vous pensez pouvoir la rassurer, cette France qui a peur ?

C’est le plus dur. On le fera par les résultats. Quand leur petit-fils décrochera sa formation pour un nouveau métier, les grands parents se diront : ça bouge quand même. Je le vois dans l’Eure, dans des familles très ancrées à droite : on m’interroge sur le Président, on attend de voir. Beaucoup ont été marqués par la visite de Poutine à Versailles, par la poignée de main à Trump, le voyage en Afrique. Il y a une fierté retrouvée de l’image de la France à l’étranger. Les gens que j’ai eu l’habitude de côtoyer chez LR, je leur demande s’ils n’ont pas le sentiment que la France est plus forte aujourd’hui qu’hier.

Vous découvrez les «marcheurs», qu’est-ce qui les distingue des militants de LR ?

Les marcheurs sont très représentatifs de la société française : toutes les générations, des parcours très différents, la mixité sociale, la parité hommes-femmes. J’étais récemment en Corrèze, un département qui aime la politique. J’ai trouvé, côte à côte, des anciens du PS qui ont dû faire une campagne acharnée pour Hollande en 2012, des représentants de la vieille garde chiraquienne, des élus de la chambre de commerce. On parle vraiment de tout, du chômage comme du numérique ou du glyphosate. Il n’est pas rare que les avis divergent. C’est un mouvement qui a le débat dans son ADN. Mais un débat constructif, car tout le monde partage le même socle de valeurs et de principes, et souhaite pour la France la réussite du président de la République.

Vous insistez sur votre fidélité à Nicolas Sarkozy. Vous avez le sentiment qu’il vous soutient dans votre démarche ?

Il a été chef de l’Etat. Il reste un homme d’Etat. Il veut que la France réussisse et il ne s’interdit pas d’intervenir dans les grands débats qui intéressent la nation. S’il y a un coup dur dans le pays, je sais qu’Emmanuel Macron pourra compter sur Nicolas Sarkozy.

photo Roberto Frankenberg