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Libération
Total bordel

A l’Assemblée, les questions au gouvernement filent un mauvais coton

Agacé par le brouhaha couvrant les échanges entre députés et ministres, De Rugy a menacé mardi d'arrêter les questions au gouvernement si elles virent à la baston. Sans avoir le pouvoir de l'appliquer.
Mardi, le groupe de La France insoumise aux questions au gouvernement (Photo Patrick Kovarik. AFP)
publié le 20 décembre 2017 à 11h51

Ce mercredi après-midi, ce sera les dernières questions au gouvernement (QAG)… pour l’année 2017. Les députés levant le camp, après le vote du budget prévu jeudi, pour trois semaines de trêve des confiseurs. Mais voilà que ces séances d’échanges bi-hebdomadaires entre les députés et les ministres ne se tiennent plus du tout dans le climat zen et discipliné qu’avait rêvé d’instaurer la nouvelle majorité six mois plus tôt.

Lors des toutes premières séances, début juillet, on aurait pu entendre une mouche voler dans l'hémicycle pourtant archi-comble. Quant aux quelques tentatives de huées, elles étaient immédiatement couvertes par les applaudissements des députés LREM, qui s'appliquaient à ovationner la moindre formule bien sentie d'un de leurs ministres. Un peu déroutés au départ, les députés LR ont mis quelques semaines à retrouver le goût de la castagne.

Car c'est surtout à droite qu'on a envie d'en découdre aux QAG. Chaque intervention au micro est ponctuée de «fumisterie», «dramatique», «aberrant», «quelle arrogance» et on en passe. Dès qu'un député de la majorité se montre un peu trop complaisant, il se prend en boomerang, des «cirage de pompes !» ou «allô?», allusion à sa question dite «téléphonée», qu'on soupçonne plus ou moins dictée par le cabinet du ministre lui-même. Une poignée de députés LR, plutôt de la jeune génération, s'est fait une spécialité de cette bordélisation.

«Pas la loi de celui qui crie le plus fort»

Mardi, ceux-ci ont un peu trop chauffé le président, François de Rugy qui leur lançait des regards noirs depuis le perchoir. Tandis que Frédérique Dumas (LREM) s'adressant à la ministre de la Culture, François Nyssen, a le malheur de citer l'interview tout confort d'Emmanuel Macron, dimanche, par Laurent Delahousse, la droite s'en donne à cœur joie. «C'était magnifique», «narcissisme égocentrique», braillent Les Républicains, dans un brouhaha complet. De Rugy y va donc de son sermon. «Mes chers collègues, si à chaque fois qu'un député pose une question, les députés des autres groupes couvrent de leur voix les propos qu'il tient, alors nous arrêterons les séances de questions au gouvernement, car elles n'auront plus aucun intérêt. Ici nous n'obéissons pas à la loi de celui qui crie le plus fort», recadre-t-il, cette fois hérissant particulièrement les députés de gauche. «C'est inacceptable ! De quel droit ? C'est la dictature !», proteste le communiste Jean-Paul Lecoq. «Pour qui il se prend ?», peste Jean-Luc Mélenchon tandis que Laurent Furst (LR) ironise : «On peut aussi fermer le Parlement !»

A la reprise des débats, le président du groupe France insoumise est revenu sur l'incident. «Tout à l'heure, dans un moment d'émotion, vous vous êtes abandonné à une de ces crises d'autorité que nous n'acceptons pas», lance-t-il à De Rugy, lui rappelant que sa fonction «donne la prééminence à l'un ou l'une d'entre nous, pour la police des débats» mais ne l'autorise pas à «supprimer une telle séance».

De fait, en menaçant d'arrêter les séances des mardi et mercredi si elles virent à la baston, De Rugy y va un peu fort. Car ce n'est en aucun cas dans les pouvoirs du président de l'Assemblée de prendre une telle décision, les QAG étant inscrites dans la Constitution. L'article 48 précise qu'«une séance par semaine au moins, y compris pendant les sessions extraordinaires prévues à l'article 29, est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du gouvernement.»

Droit de réplique

Interrogé en octobre sur le format de ces QAG instaurées en 1974 et régulièrement critiquées pour leur côté «mauvais théâtre», De Rugy avait plaidé pour leur maintien car «il s'agit d'un des moyens d'interpellation directe du gouvernement». Il avait aussi suggéré des pistes pour les moderniser. On entend souvent citer la possibilité d'un «droit de réplique» en vigueur au Sénat : les sénateurs disposent de deux minutes de temps de parole, qu'ils peuvent répartir entre leur question et éventuellement, leur réponse à celle du ministre. Sous toutes les législatures, les présidents de l'Assemblée (Jean-Louis Debré, Bernard Accoyer et Claude Bartolone), qui reçoivent des lettres de téléspectateurs consternés par le spectacle des huées et claquements de pupitre, ont souvent rappelé à l'ordre les députés turbulents. De Rugy, a lui, convoqué fin novembre Aurélien Pradié, l'un des «trolls» LR revendiqués.

Ces dernières semaines, plusieurs ministres se sont, eux, agacés de ce brouhaha. Ainsi de Marlène Schiappa (qui avait prié la droite de «garder [ses] nerfs») ou Brune Poirson, lâchant, en se rasseyant «il m'a gonflé». Mardi, Nicolas Hulot s'est, lui, interrompu pour répliquer : «J'espère que vos enfants ne regardent pas la télé, vous n'impressionnez que vous.»