Menu
Libération
édito

Cri du cœur

publié le 5 janvier 2018 à 20h46

On doit «être Charlie». Mais on peut ne pas l'être. C'est l'ambiguïté de ce slogan salvateur dont nous retraçons ici l'histoire. Etre Charlie ? C'était le cri du cœur des millions de manifestants du 11 Janvier qui, pour la plupart, ne lisaient pas le journal ou même ne prisaient guère ses idées. Ils ne criaient pas leur adhésion, qu'on ne leur demandait pas, d'ailleurs. Ils criaient instinctivement, spontanément, unanimement : «Vive la liberté !», malgré les balles des tueurs. Ceux qui y ont vu, à la suite d'Emmanuel Todd, un signe d'intolérance envers l'islam, n'ont rien compris. Et ceux qui disent aujourd'hui que «Charlie allait trop loin, on ne peut pas se moquer ainsi d'une religion des opprimés, blesser de la sorte les croyants», n'ont toujours rien compris.

Outre que l'islam est aussi une religion des puissants, en Arabie Saoudite ou en Iran, par exemple, il ne saurait y avoir de privilège pour un dogme ou un autre. Ils oublient cette phrase de la Convention européenne des droits de l'homme qui, pourtant, les protège aussi : «La liberté d'expression vaut non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent». Ils oublient enfin le martyre toujours à l'œuvre d'une rédaction menacée, insultée, haïe, obligée pour des raisons de sécurité d'exercer sa liberté dans une prison.

Pour le reste, fort heureusement, on peut ne pas «être Charlie». Le journal se moque de l’islam, certes, mais aussi des chrétiens, des militaires, des flics, des élus, des patrons, des militants, du pape, de Le Pen, de Macron, de Mélenchon ou de Valls. Tous ceux-là et bien d’autres ont, sous cet angle, toutes raisons légitimes de ne pas «être Charlie». Dans le slogan originel, il n’y a, il ne doit y avoir, qu’une seule injonction : refuser, justement, toutes les injonctions à la liberté d’expression.