Malgré la libération de la parole dans le sillage de l'affaire Weinstein, malgré la proclamation de l'égalité femmes-hommes comme la «grande cause» du quinquennat, malgré la mobilisation du CSA contre ceux qui malmènent la dignité des femmes à l'antenne, les violences conjugales ont continué de tuer en 2017. Le bilan – 109 femmes tuées – est probablement encore plus lourd, ce que devrait confirmer dans les prochains mois le ministère de l'Intérieur.
D'après les dernières statistiques officielles, 123 femmes ont trouvé la mort dans le cadre conjugal en 2016. En dix ans, le nombre de décès a baissé d'environ 10 %. «Il y a eu des baisses dans les années antérieures, mais les chiffres récents restent très élevés», analyse Françoise Brié, directrice de la Fédération nationale solidarité femmes, qui gère le numéro d'aide aux femmes, le 39 19. D'autant que cette statistique est largement sous-évaluée : les suicides consécutifs à des violences ne sont pas comptabilisés.
Disparités géographiques. «Ce n'est pas décourageant mais il faut s'interroger sur les réponses que l'on apporte à ces femmes», explique Françoise Brié. La clé, selon elle : mieux repérer et mettre en sécurité les femmes victimes de violences conjugales, pour éviter leur intensification jusqu'au coup fatal. Une attention particulière doit ainsi être apportée au moment de la séparation, lors de laquelle les femmes sont plus vulnérables, souligne Annie Guilberteau, directrice générale de la Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF). Selon nos calculs, en 2017, presque la moitié (47) des féminicides conjugaux ont eu lieu dans un contexte de rupture.
Des dispositifs efficaces de protection existent déjà et ont permis de contenir l'augmentation du nombre de féminicides conjugaux, mais pour les professionnels, ils sont encore insuffisamment mis en œuvre. Parmi eux, un système qui permet à la victime d'alerter un service de téléassistance en cas de danger imminent : «Le Téléphone grave danger (TGD) a protégé un certain nombre de femmes d'un risque imminent de meurtre», détaille Annie Guilberteau. Il a un effet dissuasif : «En Seine-Saint-Denis, aucune femme bénéficiant du Téléphone grave danger n'a été agressée», indique Ernestine Ronai, responsable de l'Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes, coauteure de Violences conjugales : le droit d'être protégé, paru en novembre. «Le TGD a fait ses preuves, mais il n'est pas suffisamment utilisé et il n'y a pas suffisamment de téléphones», regrette-t-elle. Si 530 téléphones sont aujourd'hui actifs, ils ne sont pas généralisés sur l'ensemble du territoire. Outre-mer, où les femmes sont pourtant particulièrement exposées aux violences conjugales, l'appareil n'existe qu'à La Réunion.
Les disparités géographiques sont également nombreuses en matière d'accueil : «Dans certaines zones rurales, il n'y a pas d'association, pas de lieu d'hébergement à proximité», déplore Françoise Brié. La capacité des centres d'hébergement est «très insuffisante au regard de la demande» dans certaines régions, lit-on dans un récent rapport de Solidarité femmes. Résultat, les associations ne peuvent répondre qu'aux cas les plus urgents.
Pour Ernestine Ronai, le changement passe aussi par une évolution des mentalités. «Il existe encore une trop grande tolérance sociale aux violences faites aux femmes dans le couple et la société ne prend pas suffisamment en compte la dangerosité des hommes violents», considère l'ancienne coordinatrice nationale «violences faites aux femmes» de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof). Depuis 2013, la Miprof a formé plus de 300 000 professionnels, notamment de santé, des formations qui pourraient être étendues, par exemple, au sein de l'entreprise, pour améliorer la prise en charge des victimes, défendent celles et ceux engagés dans la lutte contre les violences conjugales. «Il faut donner confiance aux femmes», soutient Ernestine Ronai.
Issue fatale. Des unités hospitalières spécialisées dans la prise en charge psychotraumatique des victimes doivent être créées cette année, a promis Emmanuel Macron. Une dizaine de lieux pilotes sont prévus dans les prochains mois. Les unités médico-judiciaires des hôpitaux pourront garder les preuves des violences même si la victime ne veut pas porter plainte, explique Ernestine Ronai : «Cela se fait à Bordeaux et il y a 30 % de femmes qui finissent par porter plainte au lieu de 10 %.» Encore faut-il que les femmes soient informées des possibilités d'aide qui s'offrent à elles. Beaucoup n'osent pas se tourner vers une association ou se rendre dans un commissariat, parce qu'elles ignorent leurs droits ou ne se reconnaissent pas comme victimes. «Les femmes peuvent banaliser les violences, ne pas se rendre compte de ce qu'elles vivent», pointe Françoise Brié, qui souligne aussi l'importance de «la mise en place d'outils pour analyser les failles» en cas de meurtre.