Menu
Libération
Éditorial

La vérité est ailleurs

publié le 8 janvier 2018 à 20h56

C’est une pente naturelle de l’esprit humain : on croit toujours qu’un grand événement a des causes puissantes, et quand l’enquête montre qu’il n’en est rien, on suspecte un facteur occulte, secret, une manipulation. Un homme seul aurait tué John Kennedy, le leader le plus puissant de la planète ? Allons ! Une douzaine de terroristes armés de cutters auraient abattu à eux seuls les Twin Towers ? Allons ! La vérité est donc ailleurs : on l’entend depuis des siècles, souvent pour stigmatiser l’influence supposée de telle ou telle minorité, les Juifs en particulier. La véritable nouveauté, c’est qu’au pays de la raison, des Lumières, de Descartes, de Voltaire et de Pasteur, une telle proportion de Français croient aux billevesées diffusées par la «complosphère». On incriminera les mensonges des élites ou les erreurs de la presse, qui portent leur part de responsabilité. Le gouvernement américain dénonce des «armes de destruction massive» qui n’existent pas. La rumeur publique relayée dans les médias condamne Dominique Baudis, innocent qui n’en peut mais. Ces errements et bien d’autres restent dans la mémoire publique et rendent suspectes les autorités les plus crédibles. Mais on doit aussi réfléchir sur l’effet pervers de la critique obsessionnelle du «consensus» ou de «la pensée unique» (laquelle d’ailleurs ?). A force d’affirmer que la parole officielle n’est que mensonge, que le contenu des «médias traditionnels» n’est que manipulation, on donne un brevet de respectabilité aux vrais menteurs et aux vrais manipulateurs, qui forment l’internationale informelle et erratique du complotisme. Si la vérité attestée et vérifiée - ou approchée - par les journalistes sérieux se ramène à un tissu d’affabulations ou à un conformisme trompeur, alors la «vérité alternative» chère à Donald Trump triomphe. Au détriment de la démocratie.