«Tout est parti en fumée, il n'y a plus rien, c'est une catastrophe», se désole un employé de l'enseigne Promo & Destock, qui préfère rester anonyme. Cette épicerie casher située à Créteil (Val-de-Marne) a été incendiée tôt mardi matin. Plusieurs heures après l'intervention des pompiers, l'homme, encore «sous le choc», ne peut se résoudre à détourner le regard de ce qui reste de la boutique : un amas de débris, un caddie retourné, des cendres qui laissent tout juste entrevoir les débris des rayons. L'odeur de fumée est tenace et le sol détrempé noirci. «La piste criminelle est privilégiée», a fait savoir la procureure de Créteil, Laure Beccuau. Dans ce petit centre commercial, situé au pied des tours du quartier populaire du Mont-Mesly, la nouvelle du sinistre laisse les habitants un brin abasourdis. D'autant que six jours plus tôt, des croix gammées rouges avaient été taguées sur le rideau de fer de cette même épicerie et sur celui de l'Hyper Cacher voisin.
Deux enquêtes ont été ouvertes pour ces faits, que le parquet, interrogé par l'AFP, ne lie pas pour l'heure. «Ce n'est pas le Bronx, ici», assure un agent municipal. Groggy, le propriétaire du Promo & Destock, qui veut lui aussi rester anonyme, ne dit pas autre chose : «Il n'y a pas de problèmes entre communautés ici. Moi-même je suis musulman et je tiens un magasin casher», insiste-t-il, las de voir «la peur» s'insinuer chez certains de ses clients depuis les graffitis de la semaine passée. «Je compte rouvrir mon commerce, recommencer. On ne va quand même pas leur faire ce plaisir», conclut-il.
«Impunité». Lui et les commerçants voisins veulent mettre en avant ce «vivre ensemble» qui caractérise selon eux le quartier, voire, plus largement, «réconcilier les Français». Ilan Fitoussi, traiteur casher installé depuis vingt ans à l'étage supérieur du petit centre commercial, voudrait «calmer les esprits» : «Malgré nos différentes origines, ici, tout le monde s'entend à merveille. J'en ai assez d'entendre que c'est un déplacement du conflit israélo-palestinien. Oui, les croix gammées m'ont choqué, évidemment. J'aimerais en finir avec l'impunité pour ce type d'actes, pour retrouver l'harmonie.» Bloquée par le cordon de sécurité installé provisoirement, Caroline, Cristolienne de 26 ans, devra attendre un peu avant d'acheter ses côtes de veau. La jeune femme, de confession juive, semble résignée : «Je ne suis même plus surprise. Je dois dire que je craignais même pire dans la mesure où le climat se dégrade d'année en année en France, estime-t-elle. Mais pas question pour moi de cacher ma confession, je les emmerde.»
L'ambassadrice d'Israël en France, Aliza Bin-Noun, a réagi sur son compte Twitter : «Cette nouvelle attaque contre la communauté juive est une provocation honteuse, qui prouve l'importance de la poursuite du combat contre l'antisémitisme».
«Que cet incendie soit criminel ou antisémite de surcroît, il n'en demeure pas moins cruel et lâche», déplore Albert Elharrar, président du Centre communautaire de Créteil (association juive locale). Selon lui, cette ville de 90 000 habitants en compterait environ 23 000 de confession juive. «L'Hyper Cacher et le Promo & Destock sont gérés l'un par un juif, l'autre par un musulman. Je trouve cela assez significatif de la symbiose dans cette ville», insiste-t-il. Et de s'interroger : «Ceux qui ont dessiné ces croix gammées en connaissaient-ils réellement le sens ?» En effet, l'une d'entre elles était peinte à l'envers, comme en attestent plusieurs photos publiées sur les réseaux sociaux. Certains habitants du quartier en déduisent que les auteurs pourraient bien être des «petits cons» qui chercheraient la «provocation».
«Dealers». Le maire socialiste de Créteil depuis quarante ans, Laurent Cathala, a pour sa part mis en garde contre toute conclusion hâtive et décrit, comme plusieurs des habitants croisés mardi, un quartier théâtre de «conflits entre commerçants et dealers». En attendant que soient éclaircies les circonstances précises du sinistre, Albert Elharrar entend bien organiser un rassemblement de soutien à l'épicier sinistré dans les prochains jours. «Cet incendie a plutôt réveillé un sentiment de solidarité que de crainte. On a d'abord pensé à une mobilisation ce mardi soir, mais en raison des commémorations de l'Hyper Cacher de Vincennes, c'était impossible», détaille-t-il. Il y a trois ans jour pour jour, l'attentat antisémite perpétré par Amedy Coulibaly au nom de l'Etat islamique dans le supermarché de la Porte de Vincennes avait fait quatre morts.
Photo Cyril Zannettacci