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Notre-Dame-des-Landes

NDDL : Edouard Philippe, un arbitre qui avance masqué

Notre-Dame-des-Landes, l'aéroport enterrédossier
Dans l’épineux dossier de l’aéroport nantais, le Premier ministre consulte tous azimuts sans rien laisser deviner de ses intentions. La décision de l’exécutif est imminente.
Edouard Philippe à l'Assemblée en décembre. (Photo Patrick Kovarik. AFP)
publié le 16 janvier 2018 à 19h56

«Nous sommes maintenant en mesure de décider.» Le verdict de l'exécutif dans le dossier Notre-Dame-des-Landes est imminent, a annoncé Edouard Philippe mardi, devant les députés de la majorité. Selon des sources parlementaires et ministérielles, c'est mercredi ou jeudi que pourrait être prise l'une des décisions les plus attendues de ce début d'année : construire ou non le nouvel aéroport de Loire-Atlantique, projet soutenu par la plupart des élus locaux, mais critiqué pour ses conséquences sur l'environnement.

L'exécutif n'a jusqu'ici rien laisser filtrer de ses intentions. Partisans du nouvel aéroport jusqu'à leur arrivée au pouvoir, désormais retranchés dans la plus stricte réserve, Macron et Philippe jouent avec les nerfs des acteurs du dossier, qu'ils soient favorables ou opposés au nouvel équipement, à commencer par les deux poids lourds du gouvernement, Jean-Yves Le Drian et Nicolas Hulot. «Il y a des signaux dans les deux sens, juge le sénateur EE-LV Ronan Dantec, hostile au projet et reçu, comme d'autres, par le Premier ministre. Je ne sais pas où l'on va, et j'essaie de ne pas me faire d'intime conviction. Edouard Philippe nous a demandé de ne pas parler en son nom. Mais de toute façon, je ne saurais pas quoi dire.»

Déminer. Quelle que soit sa décision, le couple exécutif se targuera d'avoir tranché là où ses prédécesseurs avaient tergiversé. Il se félicitera également d'une méthode qui aura, jusqu'au bout, suggéré une parfaite équité entre les deux camps. Après qu'un trio d'expert eut remis son rapport au gouvernement le 13 décembre, le Premier ministre a ouvert, le 5 janvier, une série de rencontres avec les élus de l'Ouest. «Il introduit le sujet en quelques minutes, puis il écoute tout le monde, relate un partisan du nouvel aéroport, reçu vendredi dernier à Matignon. Il parle peu, mais prend énormément de notes.» Edouard Philippe a même effectué un déplacement surprise en Loire-Atlantique, samedi : «Une fois qu'on a beaucoup écouté, c'est bien aussi de voir», a-t-il expliqué.

Palabrer pour déminer : un procédé déjà éprouvé dans d'autres dossiers délicats, comme la réforme du code du travail, précédée d'intenses consultations des partenaires sociaux. En valorisant les corps intermédiaires, en mettant en scène un processus ouvert, la méthode devait légitimer les décisions. Mais l'exécutif poursuivait alors un objectif clair, dont il voulait bien discuter les détails. Dans le cas du nouvel aéroport, «Edouard Philippe dit que la décision est compliquée à prendre, qu'il y a du pour et du contre», rapporte un autre visiteur. Dans l'entourage d'Emmanuel Macron, on n'est pas loin de s'en amuser : «Je défie quiconque de sortir d'un entretien avec le Président en connaissant sa décision sur Notre-Dame-des-Landes», sourit un membre de son équipe.

«Calinothérapie». De quoi entretenir la douloureuse incertitude des deux camps, qui naviguent depuis huit mois entre doute et espoir. La mission d'expertise a d'abord alarmé les pro-aéroport, qui ont jugé sa composition biaisée. De fait, sans clairement soutenir l'un ou l'autre scénario, son rapport a crédibilisé l'idée d'un aménagement de la plate-forme existante de Nantes-Atlantique. Mais la suite du processus a regonflé les partisans du chantier : «Quand on a vu la tête de la mission, on s'est dit que ça sentait l'enterrement, raconte l'un d'eux. Mais les auditions menées par le Premier ministre ont brouillé les cartes. On s'attendait à de la calinothérapie, à des contreparties pour faire passer la pilule. Mais en fait, la discussion n'a rien écarté. Il n'était clairement pas en train de préparer l'atterrissage.» Pour un autre partisan de l'aéroport : «Il y a deux façons de voir les choses. Soit la décision n'était vraiment pas prise, et alors ces consultations auront été utiles. Soit le choix était fait depuis longtemps. Dans ce cas, tout cela n'aura été qu'un habillage médiatique assez cynique.»

Nicolas Hulot : «Je prendrai mes responsabilités»

Paris, le 13 décembre 2017. Hôtel Matignon. Remise du rapport des médiateurs chargés d’étudier le projet de construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. SUR LA PHOTO: Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la Transition écologique et solidaire.
COMMANDE N° 2017-1716Opposé au projet, le ministre de la Transition écologique ne dit pas s’il démissionnera en cas de nouvel aéroport. (Photo Denis Allard. Réa)

Nicolas Hulot est un opposant historique à Notre-Dame-des-Landes (NDDL). «C'est un investissement du siècle dernier», déclarait-il par exemple à Libération fin 2015. Mais il jure qu'il n'a pas mis, en mai, l'abandon de ce projet dans la balance avant d'accepter un maroquin, lui qui a tant dit «non» aux prédécesseurs d'Emmanuel Macron. Et le ministre de la Transition écologique et solidaire prend bien soin, depuis, de ne pas dire un mot plus haut que l'autre sur le sujet. Surtout ne pas être accusé de faire pencher la décision de son côté.

Ces derniers mois, il s'est évertué à se démarquer de la mission de médiation lancée en juin par Edouard Philippe sur une idée de campagne de Macron, dans le but d'«apaiser» les tensions autour du projet. Mais rien n'y a fait. Les pro-aéroport ont illico qualifié la médiation de «mascarade». A leurs yeux, les alternatives au projet, y compris un réaménagement de l'actuel aéroport de Nantes-Atlantique, ont déjà été étudiées avant, contrairement à ce qu'affirme Hulot. Et les médiateurs seraient partiaux. En particulier Gérard Feldzer, un proche de l'écologiste qualifié de «militant» anti-NDDL par les «pro». Sans convaincre ces derniers, Feldzer a dû marteler que la décision de réaliser ou non le projet serait «politique» et que le rapport n'orienterait «pas du tout, vraiment pas» ce choix. Le ministre a lui aussi dû assurer plusieurs fois que la décision de l'exécutif serait prise de façon «indépendante». «Je prendrai mes responsabilités en fonction de ce qu'il y a dans le rapport», a-t-il par ailleurs fait savoir le 10 décembre, à trois jours de la remise de celui-ci. Tout en précisant : «Ça ne veut pas forcément dire démissionner.»

Sans trancher officiellement, le rapport penche plutôt en faveur d'un réaménagement de Nantes-Atlantique, faisant enrager les pro-NDDL, qui accusent de plus belle Hulot de «collusion». L'intéressé se contente ces derniers jours de formuler «un seul vœu», quelle que soit la décision : «Que les choses se fassent de façon pacifiée et pacifique.» Alors que Philippe et Macron font durer le suspense, certains croient savoir que le Président «veut lui offrir l'abandon du projet». Peut-être parce que le ministre a déjà avalé trop de couleuvres (mise à l'écart des états généraux de l'alimentation, suppression des aides à l'agriculture bio, application de l'accord de libre-échange avec le Canada…). En attendant, Hulot minimise les conséquences de la décision, répétant que cela ne le ferait pas démissionner. «Je ne vois pas comment il pourra rester si l'aéroport se fait», estime pourtant le sénateur EE-LV de Loire-Atlantique Ronan Dantec. Malgré ses dires, cela pourrait être la goutte d'eau pour le ministre, qui se donnait cet été un an pour évaluer si sa présence au gouvernement aura permis d'engager «un changement profond, une dynamique irréversible».

Jean-Yves Le Drian : «Une nouvelle solution apparaît, il faut l’étudier»

Le ministre des Affaires étrangères, défenseur de Notre-Dame-des-Landes, ouvre la porte à l’option alternative. (Photo Denis Allard. Réa)

Homme fort de la Bretagne mais taiseux de nature, Jean-Yves Le Drian est savamment resté à l'écart du dossier Notre-Dame-des-Landes (NDDL) pendant dix-huit mois. Et d'une, sa position était archiconnue - «Je suis à fond pour», disait l'ancien président de région avant le référendum de juin 2016 -, et de deux, il avait d'autres chats à fouetter - ses activités ministérielles, de la Défense sous Hollande, au Quai d'Orsay sous Macron -, et de trois, pas question pour lui de se retrouver en porte-à-faux voire en situation de démissionner si le nouvel exécutif venait à renoncer à construire cette infrastructure de la discorde. D'où la prudence.

Ceci dit, sentant le vent tourner après la publication du rapport des médiateurs qui ouvrait la voie à l'agrandissement de l'aéroport existant, Le Drian a pris soin de reprendre la parole, juste avant Noël, pour réajuster sa liste de priorités. Prudence encore. «L'essentiel», n'est plus la construction de NDDL ou l'autorité de l'Etat, a-t-il expliqué mi-décembre. Non, «l'essentiel pour les Bretons dans cette affaire, c'est d'avoir la capacité de voyager par avion dans les années qui viennent». Peu importe donc d'où ils décollent et où ils atterrissent ? «Ma position c'est [que] Notre-Dame-des-Landes est la meilleure solution. Maintenant, il apparaît une nouvelle solution, il faut l'étudier», ajoutait Le Drian sur RTL, réclamant une décision «rapide» après cinquante ans d'atermoiements.

Du coup, une retraite anticipée en Bretagne en cas d'abandon de NDDL est-elle envisageable ? «Il n'a pas mis sa démission dans la balance. C'est pratique : ça évite de l'enlever de la balance», s'amuse un proche, visant les circonvolutions de Nicolas Hulot. Reste que depuis l'été, certains se font l'écho d'un Le Drian qui serait malheureux dans ses nouvelles fonctions, loin de la chose militaire. Comme un poisson dans l'eau quand il s'agit de la diplomatie de sécurité, de la Corée du Nord au Moyen-Orient où il a tissé des liens personnels avec tous les dirigeants (au point que l'émir du Qatar lui demande des nouvelles du FC Lorient, son club de foot fétiche). Bref, un allié indispensable pour Macron mais hermétique aux enjeux climatiques, dont le Président a pourtant fait une priorité. «Le seul vert que Le Drian aime, c'est le kaki», est devenu plaisanterie courante dans les couloirs du ministère des Affaires étrangères. «La légende de ses états d'âme c'est n'importe quoi : il a la pêche et boucle plus d'un tour du monde chaque mois», dément-on au Quai d'Orsay.

C'est surtout que «s'il sort, il est mort» politiquement, note une source militaire. Devenu le confident des grands de ce monde, le chef de la diplomatie «ne peut pas partir sur un différend local, estime de son côté un ancien camarade socialiste. Ce serait incompréhensible pour les Français».