Édifier de nouveaux espaces, définir de nouveaux usages, comment organiser les villes à l’ère des nouvelles mobilités et impliquer les citoyens dans ces métamorphoses de l’urbain? Venez débattre avec nos invités (à partir de 19 heures le mardi 6 février) à l’occasion de notre forum sur les mobilités, à l’auditorium de la maison de la RATP.
Ce qui a changé ces dernières années dans la géographie concrète des individus c’est d’abord la révolution des mobilités. L’accès au transport, public ou privé, motorisé a ouvert une gamme considérable de nouvelles activités et, plus encore, de nouvelles manières d’habiter.
La dissociation entre lieu de domicile et lieu de travail a conduit à réinventer l’usage des logements, ateliers et usines construits dans la période précédant cette motorisation. Une des ressources de la mixité sociale dans les villes européennes vient de la diversité de l’offre de logements, héritage de l’ancienne promiscuité entre riches et pauvres. Cette hétérogénéité, inexistante dans le périurbain, se révèle un bien précieux et vulnérable. Si l’on ajoute les possibilités nouvelles que la mobilité verticale de l’ascenseur a apportées, on comprend que le mouvement n’est pas une réalité secondaire: c’est là, pour une bonne part, que se fabrique la ville. Les déplacements à longue distance sont aussi devenus plus faciles. Une ville mondiale comme Paris organise la cohabitation entre des touristes qui deviennent des Parisiens le temps de leur séjour et des habitants devenant toujours plus des touristes dans leur propre ville. Comme le numérique, qui met en mouvement l’immatériel, la mobilité a permis l’étalement urbain mais aussi une nouvelle ère de diversité dense. Les villes ont ainsi conforté grâce à elle leur rôle de résumés du Monde. Si le terme d’hyperlieu a un sens, celui d’un lieu qui tire sa force de sa relation à tous les autres lieux, c’est d’abord aux grandes villes qu’il s’applique.
Ce ne sont pas seulement les vitesses qui ont changé, mais aussi la substance (pourquoi bouge-t-on ?) et la métrique (comment bouge-t-on ?) des mobilités. L’événement le plus remarquable est sans doute celui-ci: la dissociation entre vitesse nominale (vélocité) et vitesse contextuelle change du tout au tout le rapport à la mobilité. Pendant des siècles, c’était la vitesse nominale qui organisait les hiérarchies: le cheval faisait le chevalier et le piéton, le pion. Aujourd’hui, les lieux les plus productifs sont ceux où on se déplace à pied ou en transports publics. Ce qui compte, ce n’est pas le nombre de kilomètres parcourus, mais le nombre de personnes, d’organisations ou d’idées auxquelles on a accès en un temps donné. Dans une ville organisée pour le mélange et l’échange, les piétons sont devenus les mobiles les plus rapides ! Avec Manhattan, Paris est devenu le prototype d’un espace urbain où, sans effort surhumain, on peut passer à un monde post-automobile – une bonne nouvelle tant pour la créativité (le piéton profite au mieux de la sérendipité urbaine) que pour la cohésion sociale (grâce à l’espace public), la santé publique ou la nature.
Pour toutes ces raisons, la mobilité est essentielle à l’urbanisme. Par rapport aux cités emmurées d’autrefois, les aires urbaines sont ces villes augmentées de leur propre mobilité. Et, sans surprise, les espaces des aires urbaines (centre + banlieue + périurbain) s’ajustent très largement aux cinq grands bassins qui organisent la vie urbaine: emploi, logement, transports, éducation, commerce, culture. C’est particulièrement net à Paris, où, par chance, il existe une institution politique, l’Île-de-France, dont les limites sont proches de celles de l’aire urbaine et qui peut servir de base à un gouvernement démocratique à la bonne échelle.
C’est pourquoi ce sont ces aires urbaines, et non tel ou tel découpage dangereusement fantaisiste (comme celui de l’actuelle Métropole du Grand Paris), qui doivent nous servir de guide dans la recherche de meilleurs gouvernements urbains.