En haut du classement des radios numériques les plus écoutées de France, pas de surprise : les stations nationales historiques sont là. France Inter domine, avec 19 millions d'écoutes actives en décembre 2017, selon l'ACPM-OJD, l'organisme de mesure reconnu par la profession. Par «écoutes actives», il désigne le nombre de sessions d'écoute de plus de trente secondes du flux audio diffusé en direct par Internet. Suivent RMC et France Info, avec 12 et 8 millions, puis d'autres noms bien connus du grand public. Jusqu'à la onzième place, où apparaît l'intrigante Radio Meuh et ses 2,5 millions d'écoutes actives mensuelles. Devant quelques cadors des ondes comme Radio Classique, Nova ou France Musique. Radio Meuh ? Contrairement à celles qui l'entourent au palmarès, cette antenne n'a aucune présence sur la bande FM. Station associative installée à La Clusaz (Haute-Savoie), elle est uniquement disponible en ligne. Créée en 2007, elle s'est imposée au fil des années auprès d'un public fidèle à sa proposition purement musicale, «sans pub et sans blabla». Sa playlist permanente est animée par trois DJ, parfois prise en main par quelques invités, dont Laurent Garnier, un ami de la maison. Alors que les grandes marques comme Fip, Nova, France Musique, Skyrock ou NRJ multiplient les lancements de webradios thématiques, nouveau marché qu'elles espèrent porteur, Philippe Thévenet, l'initiateur et principal DJ de Radio Meuh, évoque son succès. Qui s'apparente, pour cet ancien restaurateur, à un petit miracle de haute montagne.
Comment définiriez-vous votre style musical ?
Notre base est black music, autour du groove, du funk. Mais c'est une définition assez large, on ne s'interdit rien. On passe des vieux trucs disco, de la musique électronique, mais pas tellement de nouveautés. C'est une programmation léchée, mais pas trop barrée ni trop pointue. On y fait très attention. Vous n'entendrez jamais sur Radio Meuh le même titre 20 fois par jour. Si on veut pousser un artiste, on le fait plutôt en mettant en avant un article sur nos réseaux sociaux.
Vous savez qui vous écoute ?
C’est peut-être paradoxal pour une webradio de La Clusaz, mais Paris est loin devant en répartition de l’audience. Nous sommes plutôt écoutés par des urbains, à Nantes ou à Lyon par exemple. Et dans notre région ensuite. Il y a beaucoup de gens qui nous écoutent au boulot, ou qui mettent Radio Meuh dans les boutiques, les bars ou les restaurants. Pour ça, le fait qu’on ne fasse pas de publicité audio est un atout. Je crois qu’on a trouvé un équilibre qui plaît bien : on passe une musique qui est très riche quand on l’écoute dans le détail mais qui passe bien aussi si on n’y prête pas attention. Des auditeurs nous disent mettre «la Meuh» en bande sonore pour les apéros entre copains, parce que ça met tout le monde d’accord.
Comment êtes-vous devenus l’une des webradios les plus prisées de France ?
Cela s’est fait petit à petit, même si on était parmi les premières webradios à se lancer. Les trois premières années ont été tranquilles. On s’est fait connaître à force de bouger pas mal en France. On a aussi profité d’être dans une région touristique : beaucoup nous ont découverts en venant à La Clusaz et ont porté la bonne parole ensuite. Aujourd’hui, il y a des millions de webradios, c’est devenu un réflexe d’écoute. Mais ce n’était pas le cas il y a cinq ans. A l’époque, une webradio 100 % musicale, sans pub, sans émission, sans blabla, c’était une vraie nouveauté.
Depuis, l’offre de l’écoute musicale s’est considérablement développée, avec les plateformes de streaming comme Spotify ou Deezer aussi. Mais nous tenons le choc. J’en suis fier. Nos auditeurs sont fidèles. On ne progresse plus autant qu’avant mais on grappille encore. Il faut dire qu’on n’a rien lâché ! On renouvelle nos playlists. Je pense qu’on a su entrer dans le quotidien des gens, pour qui Radio Meuh est devenue une valeur sûre, confortable. Contrairement à d’autres, qui enchaînent les DJ et passent du coq à l’âne, il y a une continuité sur notre antenne. Sur «la Meuh», on sait ce que l’on va trouver. C’est devenu une marque.
Le monde de la radio s’interroge sur son avenir. Que remarquez-vous sur l’évolution des usages ?
Le smartphone se développe, c’est certain. Globalement, les gens sont en train de découvrir avec plaisir qu’il y a autre chose que la FM. Il me semble qu’elle est de plus en plus limitée à l’écoute en voiture. C’est mon cas. Après, il faut être modeste : Radio Meuh fait 2 millions de «plays» par mois. C’est beaucoup moins que France Inter en un jour sur la FM…
De quoi faut-il être équipé pour faire une webradio ?
Il n’y a pas besoin d’avoir un ordinateur branché sur Internet en permanence. Il suffit d’un serveur permettant de faire du streaming, avec un programme informatique adapté. Avec 20 à 30 euros par mois, vous avez le serveur pour supporter une webradio écoutée par quelques centaines d’auditeurs.
Et vous, ça vous coûte combien ?
On a la chance de profiter de notre cote de sympathie. On ne paie pas nos serveurs. Le patron d’Infomaniak, une boîte d’hébergement web, nous l’offre parce qu’il nous aime bien. Sans lui, on devrait payer de 200 à 300 euros par mois, peut-être plus, je ne sais pas. Globalement, on a peu de frais. Le coût de structure de l’association est d’environ 6 000 euros par an. La municipalité de La Clusaz a mis des locaux à notre disposition gratuitement. Et puis les droits d’auteur sont raisonnables tant qu’on est dans le cadre associatif et qu’on n’a pas trop de chiffre d’affaires, comme c’est notre cas.
Justement, quels sont vos revenus ?
Franchement, je n’en sais rien, mais ce n’est pas grand-chose, puisqu’on ne fait pas de publicité audio. Personne n’est employé par la radio, moi-même je suis intermittent du spectacle. On arrive à sortir quelques billets grâce aux prestations que l’on fait un peu partout en France, dans des clubs ou ailleurs. On organise aussi un festival à La Clusaz au printemps, le Radio Meuh Circus Festival. Cette année, il aura lieu du 29 mars au 2 avril. Et puis on fait du merchandising aussi, avec des produits dérivés.
La prochaine étape pour nous est vraiment de passer un cap. C'est le défi : trouver des moyens de financer la radio en embauchant un peu. On songe à faire de la publicité visuelle de façon un peu plus sérieuse sur notre site et notre application. Il y a sûrement des choses à faire aussi en cobranding ou en marque blanche. On a déjà fait des playlists pour les Galeries Lafayette. Mais pas question cependant de dévier de notre ligne sans publicité audio. Ce serait tomber dans la facilité. Je l'ai toujours refusé. Pour moi, avoir une publicité Peugeot dans Radio Meuh casserait le truc.
Photo Steeve Iuncker. VU