Menu
Libération
Reportage

A la recherche de la mystérieuse cache d’armes de Notre-Dame-des-Landes

Notre-Dame-des-Landes, l'aéroport enterrédossier
La photo publiée il y a un mois et montrant un tunnel est l’objet de toutes les spéculations. «Libé» s’est laissé guider en mode bucolique par un habitant de la ZAD.
Le puits soupçonné d’être une cache d’armes de type boules de pétanque hérissées de lames de rasoir. (Photo Cyril Zannettacci pour Libération)
publié le 19 janvier 2018 à 20h36

Exclusif : Libération a retrouvé la planque d'armes des «zadistes» de Notre-Dame-des-Landes. Aucune caméra, aucun appareil photo ne s'y sont introduits depuis que le Journal du dimanche a publié un cliché des lieux le 17 décembre, une sorte de galerie de terre avec une échelle en bois pour y descendre, photo assortie de cette question angoissante : «Les forces de l'ordre s'interrogent sur le rôle des tunnels creusés dans la zone boisée : caches d'armes ou itinéraires de fuite ?» C'était un mois avant que le gouvernement d'Edouard Philippe abroge le projet de nouvel aéroport de Nantes. «Nous, cette photo nous a fait bien marrer», témoignent des occupants de la «zone à défendre». Ils nient que cette cachette très bien cachée ait pu renfermer des armes.

Un zadiste accepte de nous guider vers cet endroit, censé justifier une intervention des forces de l'ordre. On démarre la «route des chicanes», la D281 que les habitants de la ZAD contrôlent depuis 2013 et que le gouvernement a exigé de «libérer» d'ici au milieu de la semaine prochaine. On passe en voiture (le chemin supposément fermé est en réalité ouvert) devant un squat au lieu-dit «lama fâché». Puis on tourne à gauche sur un sentier. En bottes, forcément, puisque nous entrons dans la «zone non motorisée», qui bannit tracteurs ou tronçonneuses pour célébrer le triomphe du travail à la main. Les oiseaux adorent. «C'est une zone dans la zone, mais cette minorité est respectée, parce qu'elle ne se contente pas de parler, elle met en pratique ses convictions», explique un jeune zadiste.

On peine parfois à distinguer l’action de l’homme et celle de la nature entre les buttes plantées de blettes, les haies d’aubépines bouturées de pommiers. Un chat se couche dans l’herbe trempée pour qu’on lui caresse le ventre. Plus loin, une chienne donne un coup de croc dans un jean pour défendre son territoire. Le zapping de la ZAD.

Lance-pierres

Soudain, devant une prairie, notre homme dit : «C'est là !» Là, vraiment ? On regarde et on reconnaît l'échelle, les dimensions du trou. Voilà la vérité nue : la cachette n'est qu'une mare dans un pré… Comme les zadistes l'affirment depuis le début des «révélations», cet arsenal est un puits. Une fosse profonde de quatre mètres, noyée d'eau l'hiver. Une grotte d'argile où il fait bon passer du temps l'été. On boit du rouge au cubi, on se marre, on se raconte la vie de cette société qui se réenchante. «Un truc de potes», nous avait prévenus un autre habitant.

Au début, certains ont hésité à descendre, de peur que la cache s'écroule. Mais l'argile qui forme des tourbières en surface est aussi solide que la lutte d'ici, permettant même de sculpter des bancs pour les copains. «On n'en revient pas que des gens aient pu croire à une cache d'armes…». Le Journal du dimanche admet s'être appuyé sur un rapport de gendarmerie, lui-même abondé par des clichés pompés sur Facebook…

Les porte-parole de la ZAD réaffirment qu'il n'y a «aucune cache d'armes sur la zone à défendre». Au cours de sa visite, Libé a seulement aperçu un lance-pierres à l'intérieur d'un squat sur la «route des chicanes» et entendu parler de lance-peinture, qui peuvent tirer des glaçons de colorants sur les envahisseurs pour freiner leur progression dans le bocage.

Quant aux boules de pétanque hérissées de lames de rasoir, l'arme secrète que mentionnaient certains médias, cet autre fantasme amuse le guide zadiste : «On ne peut pas créer cet objet du point de vue métallurgique, à cause d'un problème de soudure. Ni le tenir à la main sans se blesser. Quel en est l'intérêt ? Ça me rappelle cette blague sur un filet à poissons qui contiendrait des hameçons entre les mailles : un objet complètement absurde.» La ZAD est fascinée de la fascination qu'elle suscite. Et regrette que la «cache d'armes» ou le «tunnel secret» ne soit pas reconnu pour ce qu'il est : un lieu de beauté politique.

Dogons

L'actuel puits est surmonté d'une sublime maisonnette en terre et paille de seigle, ajourée d'arcades et parée de minuscules fenêtres blanches de récup, toute en douceur et en poésie, entre la maison des bois dans les contes et les chefs-d'œuvre d'habitations dogons au Mali. Sur le côté, une cabane à deux étages, le logis principal de «l'anarchitecte» qui a réalisé tous ces ouvrages en solitaire, un jeune qui a grandi à Notre-Dame-des-Landes et a décidé de rejoindre la ZAD. C'est aussi à lui qu'on doit une «tour pirate» de la «route des chicanes», disparue dans un mystérieux incendie.

Ce combattant pense que le «beau» sauve le monde. Que ce n’est pas réservé aux bourgeois. Il a essayé de construire beau, de sa maison jusqu’à la «cachette». Il reviendra au frais cet été. D’ici là, on nous dit qu’il fait un tour d’Europe à pied avec son chien.