Mardi, pour le prochain atelier du ZAD Social Rap (ZSR), les filles et les gars ne savent toujours pas sur quoi lâcher l’écriture. La mort de l’aéroport, fin de la torture ? L’évacuation de la «route des chicanes» annoncée ce lundi ? La lutte pour que vivent ces utopies, brasseries, menuiseries, causeries entre les champs paysans ? Autre prose ? Au «ZSR» de Notre-Dame-des-Landes, on attend le dernier moment pour choisir le thème.
Le studio se trouve au premier étage d'un squat. Ouvert à tous mais sous verrou. Sur la «zone à défendre», il est rare de poser une serrure. Mais pas le choix avec le matos que contient la pièce (deux ordis, une carte son, deux enceintes, un caisson de basse). La cabine d'enregistrement, elle, reste ouverte. Un ancien placard doublé en panneaux de bois et mousses. Moquette rouge pour la finition. Il fait chaud dedans. «Non mais qui a installé un sac de couchage ? C'est pas fait pour dormir», dit Loïc, pas énervé. Un squatteur passe la tête : «Excuse, je savais pas.»
«Pas d’oseille, on se démerde sans ingé son, que des agités au basson» («l’Arrache-prod»)
Loïc protège la liberté d'elle-même. Il a mis une règle : «pas de chien, pas de liquide» à proximité du matos. «Des mecs ont râlé au début, alors j'ai fait le propriétaire des moyens de production. J'ai dit "on remballe !". Depuis, le studio est devenu sacré.» Le père du ZSR a avancé l'achat des ordinateurs et se rembourse au coup par coup avec la vente à prix libre d'un album collectif.
Il est passé par le classique (jardin musical à 5 ans, hautbois à 13), le rock, les percus africaines, la techno… Le millefeuille des styles l'aide à créer les «instrumentales», qu'il compose pour que chacun(e) y place sa voix.
«Au nom de la sécurité, ça recrute dans les tranchées que vous avez creusées. Comment se sentir en paix entouré d’une armée ?» («Au nom de la sécurité»)
Le Zad Social Rap est né dans les blessures et les révoltes, une semaine après la mort de Rémi Fraisse, le militant tué par une grenade jetée par un gendarme sur le chantier du barrage de Sivens (Tarn) le 26 octobre 2014. L’écorché dans les textes n’est pas sans rappeler Skalpel, qui a débuté à Aulnay-sous-Bois il y a vingt ans et s’est déplacé à Notre-Dame-des-Landes en décembre pour un festival de hip-hop.
Loïc se méfie des raccourcis : «On ne chante pas des tracts, on fait des vrais textes.» Le premier album du ZSR inclut des morceaux en tessons de bouteilles, aussi bien le shampoing aux herbes de Infraction capillaire que l'attaque - contre-attaque du système dans Légitime Défense. Djul, autre papa du projet, ex-DJ, observe : «Au final, il n'y a pas de sujet qui ne soit pas vraiment politique. Même si le rap s'est en partie standardisé, il prend son énergie dans la revendication.» Leur copine Stika, autre pilier du ZSR : «Le "rap engagé", c'est un gros pléonasme. On dit "Rythm and protest". Un micro n'est pas fait pour chanter des rimes creuses !»
«Un cercle chromatique, qui traumatise, qui magnétise, qui moi m’attise» («ZSR»)
Même les moins bons en «flow» peuvent participer. Surtout les moins bons. Car nul n’est nul au ZSR. Chacun a des phrases à noircir un cahier et à chanter au micro. Le mixage donne l’impression d’une chaîne ADN qui tient ferme ses brins : une fille/un homme/une fille/une fille/un enfant/un homme… De 5 à 60 ans. En français, en anglais ou autre langue.
Les rappeurs viennent de la «zone à défendre» ou des villages voisins. Un jour, les participants étaient vingt-quatre. Du coup, le morceau alterne vingt-quatre voix, vingt-quatre bouts de textes. Qui ne disent pas tous la même chose sur le même sujet. «C'est un patchwork», pour Djul. Plutôt bordel qui marche que gentille synthèse.
«Motive-toi à échouer» («Résidus»)
Peut-on vivre collectif et rapper solo ? S'exposer sous les projos dans une communauté qui ne sort jamais sans son masque ? Aux premiers temps du ZSR, les zadistes grimpaient sur scène en cagoule, par crainte du fichage policier et d'un risque de notoriété. Aujourd'hui, «à force de bouger», ils sont parmi les rares de la zone à décliner leurs visages et leurs vrais noms en public. L'atelier rap pose à cette communauté des questions sur la place de l'individu, des interrogations rugueuses sur le rapport au monde de dehors et à celui d'après-demain. Loïc : «On a vocation à ce que nos rappeurs deviennent autonomes.»
Stika expérimente déjà le fait de se produire sous son pseudo - mais pas sous statut d'intermittente, car «la culture ne doit pas être une marchandise». Elle a fabriqué son propre studio dans sa caravane. Quand elle compose, elle s'isole loin du bocage. Cette liberté la rend «schizophrène» : «Je voudrais qu'on me prenne pour ce que j'ai à dire et non comme une porte-parole des zadistes. La ZAD, c'est ma vie d'aujourd'hui. Le ZSR m'a beaucoup donné. Mais personne ne peut prétendre représenter, encore moins incarner, la diversité et la force des gens et des opinions qui font la ZAD.»