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Libé des animaux

La guerre du loup aura-t-elle lieu ?

Faut-il protéger le loup ou permettre de l’abattre plus facilement ? Nicolas Hulot et Stéphane Travert vont devoir se mettre d’accord sur le sort à réserver à l'animal, sans fâcher ni les ONG ni les éleveurs...
Un loup dans le parc de Saint-Léger-de-Peyre, en Lozère, en 2012 (Photo Philippe Huguen. AFP)
publié le 22 janvier 2018 à 13h45
(mis à jour le 22 janvier 2018 à 17h23)

S'il y a un dossier étiqueté «biodiversité» sur le bureau du gouvernement, le chapitre sur le loup vient sans doute dès la couverture tournée. Pelage gris, yeux perçants et dents acérées, l'animal sauvage cristallise de très fortes tensions depuis plusieurs années. Son sort se joue notamment par l'intermédiaire d'un plan quinquennal «loup» (PNA) qui devrait entrer en vigueur d'ici mi-février, après avis du Conseil national de la protection de la nature. En attendant la fin de la consultation publique, le 29 janvier, chaque camp fourbit ses derniers arguments pour infléchir les actions que l'Etat s'engage à mettre en œuvre. Car le texte – quatrième du genre – est porté à la fois par le ministère de la Transition écologique et par celui de l'Agriculture. L'un penchant plutôt pour la protection de la faune sauvage, l'autre pointant les risques pour les troupeaux d'ovins. Ce mardi 23 janvier, plusieurs parlementaires issus de territoires ruraux et de montagne seront reçus à Matignon pour faire valoir leur opposition au texte. Point d'étape.

Etat des lieux

Le loup, qui avait disparu de l'Hexagone dans les années 1930, a entamé son retour en France dans le Mercantour (sud des Alpes) au début des années 1990. Officiellement, on estime qu'il y a aujourd'hui autour de 360 loups en liberté en France, répartis en 52 meutes. Une population «strictement protégée», notamment par la convention de Berne, et en croissance. Les loups se répartissent autour des massifs montagneux : Alpes, Ardennes, Massif central et, depuis plus récemment, Pyrénées… En tout, une trentaine de départements seraient concernés. Le loup est aussi présent en Espagne (2 000 à 2 500 individus), en Italie, en Suisse, en Allemagne et, dans une moindre mesure, en Belgique.

En parallèle, on estime que l'animal a tué plus de 11 000 animaux domestiques en 2017, en grande majorité des ovins. A titre de comparaison, le cheptel ovin était estimé en 2016 à environ 7 millions de bêtes. Selon le document public, à la suite de ces attaques, 3,2 millions d'euros ont été versés au titre d'indemnisations en 2016.

Un certain nombre d'abattages de loups sont permis par dérogation afin de protéger les troupeaux. Ces «prélèvements», tirs sans attaques préalables, ainsi que les tirs de défense, destinés à protéger un troupeau en particulier, sont autorisés «à condition qu'il n'existe pas d'autres solutions satisfaisantes et que les opérations ne nuisent pas au maintien du bon état de conservation de la population de loups».

«Pro» et «anti» dos-à-dos

Irréconciliables ? Peut-être pas, mais les défenseurs du loup et ses opposants s'opposent néanmoins très fermement. Une dichotomie nette qui ressort dans les commentaires de la consultation publique sur le plan. Morceaux choisis :

• «Le loup est en train de saccager nos montagnes ! L'élevage se fait abolir par cet animal nuisible […] Le loup est à côté des habitations un jour il y aura un drame croyez moi !», pour Olivier de Savoie.

• «Cette situation est tout simplement intolérable et inhumaine pour les éleveurs et les familles touchés par ce fléau !», écrit BarbeVéronique.

• «Les loups sont des prédateurs utiles contre la surpopulation des races qui se multiplient trop vite. Les troupeaux doivent être protégés par le berger, présent, et, des chiens […] sachons garder l'équilibre de mère nature !!», pense en revanche Dantan.

• «Stop aux tirs des loups et protégeons notre biodiversité avant qu'il ne soit trop tard», réclame jOub.

A quoi serviront au juste ces commentaires dans le cadre du plan loup ? Du côté du ministère de la Transition écologique, on assure que tous les commentaires seront pris en considération. «Ils permettent de voir comment le plan est ressenti et reçu. Permettront-ils de modifier le plan je ne sais pas, mais de le compléter oui», explique-t-on.

Des objectifs dissonants

Il l'a dit, Nicolas Hulot entend «assurer la viabilité, pour l'instant incertaine, de l'espèce sur notre territoire». «On ne peut exiger des pays africains qu'ils protègent leurs lions si nous-mêmes en France on n'est pas capable de cohabiter avec le loup et l'ours. […] C'est un défi de civilisation que propose de relever ce plan», a même ajouté le ministre de la Transition écologique qui met en avant la nécessaire «cohabitation avec la grande faune sauvage».

Au mois de septembre, le ministre de l'Agriculture Stéphane Travert a de son côté assuré : «"Je suis pour le zéro loup". Avant de se reprendre aussitôt : "Non zéro attaque, ce qui ne signifie pas zéro loup, car il faut respecter la biodiversité. Il faut donc travailler ensemble pour trouver des solutions», raconte La Dépêche.

Les grandes lignes du plan ont été dévoilées en l'absence des syndicats agricoles qui ont boycotté le rendez-vous, le 12 décembre dernier :

500 loups. Dans le plan, il est précisé que ce chiffre permettrait d'«atteindre une population viable» en France, un objectif fixé pour 2023. Ce point particulier fâche quatre député(e)s de droite et une socialiste. Arnaud Viala (Aveyron), Émilie Bonnivard (Savoie), Pierre Morel-A-L'Huissier (Lozère), Vincent Rolland (Savoie) et Marie-Noëlle Battistel (Isère) entendent en effet, à l'instar des syndicats agricoles, faire sortir le loup de la classification de la convention de Berne sur les espèces protégées. Ils doivent être reçus à Matignon le 23 janvier prochain.

• Quotas de tirs. On l'a vu, un certain nombre d'abattages sont autorisés. Un seuil est fixé chaque année par décret, pour une période allant du 1er juillet au 30 juin de l'année suivante. Par exemple pour la période 2017-2018, le nombre de spécimens à tuer était fixé à 40. Pour les années suivantes, il sera limité à environ 10% de la population totale… sauf dérogation préfectorale. Dans le nouveau plan loup, le quota de tirs sera fixé par année civile : entre janvier et décembre, afin d'éviter que les éleveurs ne réclament des dérogations supplémentaires après les estives de leurs troupeaux. «Le nombre de prélèvements maximum est largement insuffisant», aux yeux de la Confédération paysanne, alors que les associations de défense des animaux estiment qu'aucun tir ne devrait être autorisé car ils sont «inutiles», selon Férus qui promeut «le triptyque "chiens de protection, filets de regroupement, présence humaine"»France nature environnement considère par ailleurs que «le tir d'effarouchement est considéré [dans le plan, ndlr] comme une solution annexe alors qu'il peut avoir plus d'efficacité que le tir létal car il permet d'inculquer au loup un réflexe d'évitement des troupeaux».

Conditions d'indemnisations. D'autres parlementaires (LREM) ont déjà été reçus par les conseillers d'Edouard Philippe le 18 janvier. Selon un communiqué repris dans le Dauphiné, ils s'opposent «à la soumission de l'indemnisation des pertes à la mise en œuvre des mesures de protection». En clair, et c'est une nouveauté : si les éleveurs n'ont pas protégé leurs troupeaux (les mesures sont financées à 80% par des aides), ils ne toucheront pas d'argent en cas d'attaque de leur troupeau. Sur ce point, le plan souligne notamment l'importance d'améliorer l'attractivité du métier de berger et évoque plusieurs options à renforcer comme le gardiennage des troupeaux, des parcs électrifiés, des chiens de protection, et une meilleure anticipation des attaques. Ce «principe doit être appliqué de manière progressive et adaptée» à chaque cas.

Alors que la clôture de la consultation approche et que le dossier «loup» ne devrait plus beaucoup évoluer, aucun des deux camps ne semble satisfait.

(Mis à jour à 17h20 avec la réaction du ministère de la Transition écologique)