D'un côté, la chancellerie joue la carte de l'apaisement et multiplie les communiqués pour manifester son soutien aux personnels «victimes d'agressions graves et intolérables» et souligner qu'elle «mesure les difficultés et les risques auxquels ils sont confrontés». De l'autre, les syndicats pénitentiaires considèrent que derrière le discours, les propositions restent trop timides. C'est ainsi que le mouvement de blocage des prisons se poursuit jour après jour depuis plus d'une semaine. Selon le dernier bilan de l'administration pénitentiaire, ce lundi matin, dans 15 établissements sur 188, les agents du service de jour n'ont pas pris leur poste tandis que 35 prisons étaient bloquées à divers degrés. Les chiffres des syndicats sont nettement supérieurs : «Ce matin à 9 heures, près de 140 établissements sont en mouvement sous différentes formes pouvant aller jusqu'au dépôt des clefs pour certains…» selon un communiqué de l'Unsa-Ufap-Justice. Pendant ce temps, les risques de débordements à l'intérieur augmentent. Dans un contexte de surpopulation carcérale, le mouvement a des conséquences particulièrement difficiles pour les détenus privés de parloirs, de promenades, d'activités, et parfois même de douche. Dans certains établissements, les avocats ne peuvent plus entrer et les extractions judiciaires n'ont plus lieu, empêchant les aménagements de peines.
«Bien en deçà des attentes»
L'Unsa-Ufap-Justice (majoritaire) et CGT pénitentiaire (troisième, avec 15%) ont refusé de signer, ce week-end, un accord soumis par la chancellerie et proposant 1 100 emplois supplémentaires sur quatre ans pour combler les postes vacants, le renforcement des équipements de sécurité ainsi que des quartiers spécifiques, totalement séparés du reste de la détention, pour la prise en charge des détenus violents. Jugeant le projet «bien en deçà des attentes des collègues mobilisés», notamment en ce qui concerne les indemnités et le statut, ils ont appelé à la poursuite de la contestation.
Depuis le début du mouvement qui a commencé après l'agression, le 11 janvier, de plusieurs surveillants par un détenu islamiste à la prison de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), le front syndical agit en ordre dispersé, voire en concurrence, dans un contexte d'élections professionnelles, fin 2018. FO-Pénitentiaire, qui maintient la ligne la plus dure, n'a pas rejoint la table des négociations. «J'ai priorisé trois grands axes : la sécurité, le salaire et le statut, ce qui n'avait pas satisfait sur le moment les deux autres organisations syndicales représentatives, nous excluant de fait», est-il expliqué dans un communiqué FO datant de ce lundi. De son côté, l'Unsa-Ufap-Justice «assume de ne pas avoir demandé d'indemnitaire dès le lancement de ce conflit, considérant, tout comme la CGT d'ailleurs, que la vie des personnels n'a pas de prix !»
«Effort considérable»
Néanmoins, les trois organisations syndicales ont décidé de dépasser leurs divergences lors d’un rendez-vous commun avec la ministre, ce lundi après-midi. Ils réclament des revalorisations indemnitaires, notamment des primes de nuit ou de pénibilité (pour l’Ufap) et statutaires (pour FO et la CGT), avec le passage pour les agents de la pénitentiaire de la catégorie C à la catégorie B. Sur le compte Twitter de la garde des Sceaux, on pouvait voir une photo de la réunion : Nicole Belloubet souriante à la table des négociations entourée par les syndicalistes à la mine un peu moins radieuse.
Verdict après une heure quarante d'échanges : «Nous allons nous revoir demain», a annoncé la ministre. Elle a précisé que la proposition de 1 100 emplois supplémentaires sur quatre ans est déjà «un effort considérable» et «n'est pas sûre de pouvoir aller au-delà». Si elle se dit prête à discuter des rémunérations, pour le moment, elle n'a formulé aucune proposition chiffrée, souhaitant «d'abord entendre les organisations sur ce qu'elles demandent». Résultat : la fronde va se poursuivre. «Il est hors de question pour nous de suspendre le mouvement», a déclaré le secrétaire général de l'Ufap-Unsa Justice (majoritaire), Jean-François Forget.