Al'heure du déjeuner, mardi, les rayons sont déserts dans cette supérette Carrefour située en bordure d'une des artères de Grenoble. Anciennement Dia, ce magasin fait partie des 273 menacés de fermeture s'ils ne trouvent pas de repreneur. Une mesure figurant dans le plan social annoncé quelques heures plus tôt, lors d'une conférence de presse, par le PDG du groupe, Alexandre Bompard. Des salariés profitent du calme pour déballer des palettes. Les haut-parleurs diffusent de la musique en sourdine et personne n'a encore eu vent de la nouvelle. A l'exception du manager : «J'ai vu passer ça, concède-t-il. Je ne suis pas surpris : quand on veut faire du bénéfice, on vire les gens. Pourquoi avoir repris des magasins qui coulaient déjà ? Ils pensaient qu'il y aurait une embellie du jour au lendemain ?» L'homme, avec près de quinze ans d'ancienneté, sourit : «Je suis un peu anarchiste, j'en ai rien à faire d'être licencié ou qu'il y ait un repreneur. Si je dois partir, ce sera avec une petite somme, et je retrouverai du boulot.»
«Pions». A l'entrée du magasin, l'agent de sécurité, employé d'un prestataire de Carrefour, se veut prudent : «Si ça se confirme, ce serait inquiétant. Pas pour moi, mais ici, les gens qui ont plus de 50 ans, on ne sait pas s'ils retrouveront du travail. Déjà que les jeunes ont du mal à en trouver tout court…» Même réserve dans un supermarché de la marque, en banlieue de Grenoble : «Ça fait un peu peur», souffle une caissière, avant de s'effacer devant le responsable du magasin. Pas question d'émettre de commentaires dans la presse, les consignes sont «très strictes» : en cas d'impair, «nos postes sont en jeu», dit le chef. A la caisse, un salarié glisse, une fois son manager parti : «C'est compliqué de se retrouver à la porte vu la conjoncture. Mais on est d'abord dans l'expectative : on sait combien de magasins vont être touchés, mais pas lesquels précisément.» Lors de son annonce, Bompard a promis de trouver des repreneurs pour les 273 magasins dont veut se défaire le groupe Carrefour et des «offres attractives de reclassement» pour au moins la moitié des 2 100 salariés concernés par le plan social (lire ci-contre). Le caissier grenoblois s'empresse d'ajouter : «Ce qu'il faut dire, c'est que c'est dégueulasse car ils se font des bénéfices.» Le délégué syndical FO Sofyane Zayani, également chef de magasin à Voiron, à une vingtaine de minutes de Grenoble, abonde : «Dans la déclaration [de la direction], on parle des pertes du groupe, de retard sur l'évolution numérique, mais on n'a pas parlé de modèle social. La plupart des gens que le plan social va toucher sont des smicards, qui ont des familles à nourrir, comme les caissières, pour qui c'est compliqué de retrouver un poste. Pendant ce temps-là, l'action est montée en flèche. Les salariés sont de simples pions dans le jeu économique.»
Stratégie. La «casse sociale» que redoute Sofyane Zayani découle selon lui d'une erreur de stratégie commise lors du rachat en 2014 des enseignes Dia : «Ils veulent céder ces magasins car ils ne sont pas rentables. Or, à leur reprise, ces discounteurs n'ont pas vraiment été transformés. Aucun modèle économique précis n'a été défini depuis. Pourtant, c'est de la simple logique commerciale : un magasin doit être destiné à la zone dans laquelle il se trouve.» S'il change de gamme - ce qui a été le cas pour les Dia, devenus Carrefour Market, City ou Contact -, la clientèle doit pouvoir suivre. A Teisseire, l'un des quartiers populaires de Grenoble, les habitants n'ont guère eu le choix. «On était ED, on a été rachetés. Puis on était Dia, on a été rachetés, raconte, un peu fataliste, un salarié du Carrefour Contact, passé sous franchise depuis quelques années. On verra bien, ça reste toujours ouvert ici.» Seul concurrent dans le secteur : un discount, à une quinzaine de minutes. Au pied des tours, la proximité demeure un luxe.