La grande tour noire surplombant l'esplanade de La Défense, entre ses jumelles Total et EDF, arbore encore le nom maudit d'Areva, devenu synonyme de la faillite de l'atome tricolore. Mais l'entrée a déjà été repeinte aux couleurs jaunes yellow cake (minerai d'uranium) d'Orano, le nouveau patronyme du groupe nucléaire français. Pas pour longtemps. Dans la grande opération de ravalement de façade lancée pour tourner la page de l'ère Lauvergeon, Areva va non seulement changer d'identité mais aussi de siège social : les 900 salariés de La Défense déménageront en 2019 pour un nouveau QG en région parisienne qui aura l'avantage de coûter trois fois moins cher (5 millions d'euros de loyer annuel contre 15 millions) et surtout de symboliser «un nouveau départ» pour le champion déchu de l'atome.
Oublions les avanies du passé et tournons-nous vers un avenir nucléaire radieux - d'ailleurs le jaune du nouveau logo «est aussi pour les Français la couleur du soleil et de l'énergie» : c'est le message qu'a tenté de faire passer Philippe Knoche, aux commandes d'Areva depuis 2014 et désormais patron du nouvel Orano, lors d'une conférence de presse, mardi, au sommet de la fameuse tour Areva.
Pin's jaune sur le revers du costume, le dirigeant n'a pas eu besoin de s'étendre sur les raisons de ce changement de nom : «Il fallait le faire, sans aucun doute», a reconnu cet X-Mines qui a fait partie de l'état-major d'Anne Lauvergeon, aujourd'hui mise en examen pour «présentation et publication de comptes inexacts» et «fausses informations» dans le cadre du dossier Uramin. Cette sombre affaire de mine d'uranium survalorisée, à laquelle s'est ajoutée celle des «anomalies» à l'usine du Creusot et le chantier calamiteux du réacteur EPR finlandais, a failli couler l'ancien Areva : début 2015, le groupe avait avoué une perte de 5 milliards d'euros et appelé au secours l'Etat actionnaire, avant de licencier dans la foulée près de 6 000 salariés…
Bagatelle. Un démantèlement et une recapitalisation à 5 milliards plus tard, exit donc Areva, le nom choisi en 2001 par Lauvergeon pour réunir Framatome et Cogema, les deux bras armés du nucléaire français. Rachetée par EDF l'an dernier, la branche réacteurs Areva NP a, elle, repris le nom de Framatome. Le reste d'Areva, qui réunit les activités «amont» (mines et enrichissement d'uranium) et «aval» (entreposage et recyclage des déchets nucléaires) du combustible, a préféré changer de papiers d'identité : va donc pour «Orano», nom trouvé par l'agence Brandesign, évoquant Ouranos, la divinité grecque du ciel qui a donné son nom à la planète Uranus, et partant de là à l'uranium qui alimente les réacteurs. Le logo s'écrit en minuscules, «signe d'humilité» de la part d'une entreprise qui a connu quelques péripéties, a précisé Philippe Knoche.
Mais il est aussi gage, selon lui, de «refondation» et d'une «ambition nouvelle» : «Donner toute sa valeur au nucléaire», l'énergie décarbonnée qui permettra de «diviser par deux les émissions de CO2 d'ici à 2050». Signe que le groupe, même ripoliné, garde les deux pieds dans l'atome, le double «O» d'Orano et la circonvolution jaune qui surmonte le logo symbolisent aussi l'activité «circulaire», des mines d'uranium au «recyclage» en combustible d'une faible partie des déchets radioactifs dont l'usine de La Hague s'est fait une spécialité, a-t-on appris à l'occasion. On peut penser aussi aux électrons gravitant autour du noyau atomique. Quant au jaune yellow cake, il ne devrait pas dépayser les militants de Greenpeace dont les calicots portent les mêmes couleurs lors de leurs opérations antinucléaires. L'ensemble de cette opération de rebranding coûtera quand même la bagatelle de 5 millions d'euros.
Cancer. «Marcher sur deux jambes», c'est donc le nouvel horizon d'Orano. Le groupe veut se développer dans les deux métiers qui lui restent : la production de combustible et de déchets vitrifiés, et l'ingénierie et les services attachés au démantèlement de centrales nucléaires. Plus anecdotique mais plutôt porteur, il va aussi proposer des traitements contre le cancer grâce aux matières radioactives via une nouvelle activité baptisée Oranomed. L'ensemble emploie encore 16 000 salariés et totalise 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires.
Alors que l'atome n'a plus le vent en poupe à travers le monde et que les prix de l'uranium sont au plus bas, Philippe Knoche a évidemment les yeux tournés vers la Chine : «Nous visons 30 % de notre chiffre d'affaires en Asie, une région qui représentera 50 % du marché du nucléaire dans les prochaines années.» Areva, pardon Orano, espère notamment vendre aux Chinois une usine complète de retraitement de déchets type La Hague pour quelque 10 milliards d'euros, transfert de technologie inclus. Annoncé en fanfare lors de la visite du président Macron en Chine, le deal n'est pas encore fait, mais le groupe français espère conclure d'ici à la fin de l'année. Pour le coup, la construction de cette usine que le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a présentée comme la planche de salut de l'atome français, serait un nouveau départ. Mais le groupe espère aussi trouver de nouveaux débouchés aux Etats-Unis, «qui totalisent 100 000 tonnes de combustibles usés à gérer», a dit Philippe Knoche.
Le boss d'Orano mise enfin sur une organisation «plus lean» (agile), malgré le poids de ses 3 milliards d'euros de dettes. Alors, pour complaire à ses nouveaux actionnaires japonais MHI et JNFL qui ont pris 10 % du capital au côté de l'Etat français, le groupe va relancer un nouveau programme, «Value 2020», visant à dégager 250 millions d'euros d'économies par an à cet horizon. Un objectif qui préoccupe bien plus les syndicats que la nouvelle livrée jaune d'Orano.