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Libération
Éditorial

Tintinesque

publié le 24 janvier 2018 à 19h56

La BD a tout prévu. En 1953, Hergé imagine une fusée lunaire capable de déposer des astronautes sur la Lune, puis de revenir se poser tranquillement à son point de départ. L'idée paraît simple : récupérer la fusée plutôt que de la perdre à jamais dans l'obscur firmament. Il a fallu attendre plus d'un demi-siècle pour qu'un milliardaire inventif, Elon Musk, mélange de professeur Tournesol et de Laszlo Carreidas, l'avionneur milliardaire de Vol 714, remplace la fusée jetable par la fusée à l'obsolescence non programmée. Quoiqu'issu d'une veine tintinesque, ce franc-tireur menace maintenant les positions d'Arianespace, le consortium européen qu'on croyait plus solide.

Tout cela, donc, était écrit à l'avance, ou plutôt dessiné. C'est loin d'être le seul exploit de la BD, genre prolifique et protéiforme à l'insolente réussite financière. En évolution permanente, le 9e art s'est attaqué ces dernières années, outre à des sujets de plus en plus pointus et littéraires, à la politique, aux questions internationales ou aux luttes sociales, avec une variété de styles inépuisable. Comme chaque année, à l'occasion du festival d'Angoulême, le Cannes de la bulle, Libération a donc confié aux dessinateurs le soin de raconter l'actualité d'une journée. On y retrouvera l'inventivité et la diversité qui font la force de ce secteur de l'édition qui ne connaît pas la crise. Avec un soupçon de réserve, toutefois : il apparaît, à écouter les dessinateurs, que tous les acteurs de ce petit empire ne bénéficient pas à égalité de la manne qui remonte des librairies. Editeurs et dessinateurs vedettes perçoivent la juste récompense de leurs efforts. Mais la masse des dessinateurs, soutiers du phylactère, vit souvent en dessous du seuil de la décence. Il y a là un paradoxe sur lequel Françoise Nyssen, ministre de la Culture et éditrice, pourrait se pencher avec lucidité.