Après une salade de noix dans une ferme fromagère, le chef de l’Etat présentait ses vœux aux agriculteurs, jeudi en Auvergne. Pour en souligner symboliquement l’importance, il a tenu à prolonger jusqu’à ce vendredi son séjour dans cette «France périphérique» que ses détracteurs, Laurent Wauquiez en tête, l’accusent de mépriser.
Dîner à Chamalières, fief de Giscard, puis déjeuner au lac Chauvet, haut lieu de la mitterrandie : Macron entend démontrer, belles images à l'appui, qu'il est aussi à l'aise dans cette France des terroirs qu'au Forum économique de Davos, où il dissertait mercredi soir, devant les dirigeants de la planète, sur un «nouveau contrat mondial». A la télévision suisse qui l'interrogeait, le président français expliquait alors qu'en raison de son déplacement «dans une région française», il lui serait hélas impossible de rencontrer son homologue américain Donald Trump, arrivé jeudi dans la très chic station helvétique. Le chantre du multilatéralisme tient à faire savoir qu'il est aussi le président de la ruralité…
Partage. «Il y a des rendez-vous rituels et des rendez-vous choisis», a déclaré Emmanuel Macron en préambule de son propos au monde agricole, à Saint-Genès-Champanelle, dans le Puy-de-Dôme. Une heure durant, le chef de l'Etat s'est appliqué à égrener quelques banalités aux oreilles de l'assistance. Au choix : «l'agriculture, une des clés de notre avenir, est à la croisée des chemins» ; «la mondialisation déréglée a bousculé les filières» ; «les Français sont attachés à des produits de qualité» ; «nous ne devons pas renoncer à être ambitieux»… Certes.
Néanmoins, la profession aura retenu que le texte législatif promis par le chef de l’Etat à Rungis en octobre pour - notamment - imposer un meilleur partage de la valeur aux industriels et distributeurs vis-à-vis des producteurs sera bien examiné le 31 janvier en Conseil des ministres. Avant de devoir légiférer, Emmanuel Macron avait appelé à ce que les acteurs mettent en place eux-mêmes de nouveaux équilibres commerciaux plus favorables aux agriculteurs. Mais le Président le reconnaît : la charte de bonne conduite signée le 14 novembre entre eux, censée permettre d’arrêter la guerre des prix, n’est pas respectée comme il l’entendait.
«Les bruits que j'entends ne sont pas encourageants, a déclaré le chef de l'Etat. Le champion des prix bas [Leclerc, ndlr] a été rejoint par les autres distributeurs. Nous renforcerons donc les contrôles de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) par rapport à ces pratiques.» Objectif : imposer un juste prix. «La confiance doit se construire à l'épreuve des faits. C'est pourquoi, dès la semaine prochaine, je souhaite que les ministres de l'Agriculture et de l'Economie réunissent l'ensemble des acteurs et soient très clairs sur les conditions commerciales», annonce le chef de l'Etat. Macron y ajoute une menace non voilée : «S'il n'y a pas de changement dans les dernières semaines de négociations [elles durent jusqu'à fin février, ndlr], nous dirons aux consommateurs citoyens français qui fait quoi dans ces négociations commerciales.»
Le projet de loi prévoit un relèvement du seuil de revente à perte de 10 % et un encadrement des promotions dans la grande distribution. L'autre mesure phare concerne la possibilité pour les éleveurs de fixer leurs prix en tenant compte de leurs coûts de revient et de la situation des marchés. «Il nous faut penser printemps pour notre agriculture», a conclu un Macron lyrique en diable, paraphrasant le philosophe Alain. Retrouver le printemps, à condition de changer de modèle pour «communiquer sur l'origine France». Et le chef de l'Etat de tracer quelques perspectives : «Créer des contrats par filières et par territoires» et «réfléchir à une stratégie par rapport à la mondialisation qui ne trouve plus ses propres règles dans la volatilité des prix.» Sans oublier de «trouver un cadre social, environnemental et productif» et de revoir une Politique agricole commune «devenue illisible, trop tatillonne et bureaucratique».
«Hanté». Le hasard faisant bien les choses, Emmanuel Macron a choisi de prononcer ce discours non loin du fief de Laurent Wauquiez, élu du Puy-en-Velay et président de LR. L'Auvergnat à la parka rouge prétend incarner une France de territoires à laquelle Macron serait totalement étranger. Dans le JDD, il était allé jusqu'à soutenir que «le plus parisien des présidents qu'on ait jamais eu» serait «hanté par une haine de la province» et, par conséquent, inaccessible à cet «amour charnel pour la France» que devrait cultiver, selon lui, un authentique président. Critiques auxquelles Emmanuel Macron a réagi en marge de son déplacement : «Je n'ai rien à répondre à des gens qui sont dans la palinodie.» Il s'est pourtant défendu : «Le discours que j'ai tenu ici sur la mondialisation, c'est le même que j'ai tenu à Davos. […] Lorsqu'on n'est pas cohérent, ça finit par se voir.» L'axiome est irréfutable, mais l'issue reste en suspens.