Menu
Libération
Politique

Gaudin, serial killer de la droite marseillaise

La guerre de succession fait rage pour les municipales de 2020. L’édile aux quatre mandats a redit qu’il ne se représenterait pas… mais il prend un malin plaisir à mettre hors-jeu tous ses dauphins.
Jean-Claude Gaudin, lors de ses vœux à la presse, lundi à Marseille. (Photo Olivier Monge. MYOP)
par Stéphanie Harounyan, Correspondante à Marseille
publié le 25 janvier 2018 à 20h36

Depuis les fenêtres de la base nautique du Roucas-Blanc, on voit la mer, furieuse à cause du mistral, et la ville qui bronze les pieds dans l’eau. Bientôt, en 2024, c’est sur ce bord de mer que se dérouleront les épreuves de voile des Jeux olympiques.

Des lendemains qui chantent à Marseille, Jean-Claude Gaudin en a mis plein son discours. Lundi 22 janvier, le maire Les Républicains (LR) de la ville est venu présenter ses vœux à la presse. C'est la 22e fois depuis son élection en 1995 que le seigneur local, 78 ans, se livre à l'exercice. Rodé. Un peu de bilan, beaucoup de perspectives pour sa ville «qui change». Voilà pour le protocole, le maire range ses notes.

C’est sur un autre dossier, plus politique, que l’auditoire est venu l’entendre, enfin. Car jusque-là, c’est en spectateur attentif que le maire a assisté au concert de rumeurs qui agite le bocal marseillais depuis quelques semaines. On murmure ainsi que le taulier de la droite locale pourrait bientôt passer la main dans sa majorité, bien avant les élections municipales de 2020. On raconte qu’en coulisses, le redoutable stratège aurait commencé à bouger ses pions. On échafaude même des scénarios plus singuliers. L’idée d’un Jean-Luc Mélenchon, désormais député de Marseille, lui succédant sur le trône l’amuserait.

L'hypothèse d'une alliance pour les municipales avec la République en marche (LREM) serait encore envisagée. D'ailleurs, n'a-t-il pas répété qu'il appréciait Christophe Castaner, le délégué général du mouvement ? Ça tombe bien, la veille encore, sur le plateau télé de Salut les Terriens, ce dernier a concédé que «Marseille ne se refuse jamais». «On m'attribue des propos alors que je n'ai rien dit», feint de s'offusquer le premier magistrat, qui peine à masquer son goût pour ce jeu de politique-fiction. Tant qu'on en parle, c'est qu'il a encore son mot à dire. En commençant par remettre les pendules électorales à l'heure.

«Combat de coqs»

L'édile l'a redit, il ne se représentera «ni aux municipales de 2020, ni à la métropole» , qu'il dirige également depuis quatre ans. Mais il a bien l'intention, contrairement à la rumeur, de rester en poste jusqu'au bout de son mandat. Ceux qui s'impatientent devront attendre. Et ils sont nombreux à trépigner, à commencer par sa famille politique.

Pour la génération de quinquas LR marseillais élevés à l’ombre du monument Gaudin, l’occasion est trop rare pour être négligée. Depuis les années 50, la deuxième ville de France n’a changé que trois fois de maire. Gaudin hors course, les aspirants bénéficient en prime d’un terrain politique propice. La gauche locale, laminée par la chute de son chef Jean-Noël Guérini, aux prises avec la justice, a perdu ses dernières plumes lors des élections législatives de 2017. Et puisque le maire rechigne à désigner parmi ses troupes un successeur, c’est à eux de se construire une réputation, chacun à sa manière.

Renaud Muselier, lui, a choisi l'option musclée. Mercredi, le président de la région Paca a pris tout le monde de court en attaquant de front, sur Public Sénat, celui dont il fut jadis le premier adjoint. Un «mauvais maire»,au bilan plombé par «deux mandats pour rien». Si l'ancien adjoint assure qu'il «n'est pas candidat» pour sa ville, la sortie intempestive en pleine guerre de succession locale a de quoi interroger. Longtemps, Renaud Muselier fut le prétendant officiel au trône. En 1995, c'est son alliance avec Jean-Claude Gaudin qui fait basculer Marseille à droite. «On était élu depuis dix minutes à peine que dans la voiture, Gaudin me lance : la prochaine fois, ce sera toi…», raconte aujourd'hui encore le prétendant déçu. Car il n'en sera rien : en 2001, Gaudin rempile. Muselier, lui, aurait dû récupérer les rênes de la communauté urbaine de Marseille. Nouvelle désillusion : à l'issue d'un tour de passe-passe politique légendaire, c'est finalement le candidat socialiste désigné par Guérini qui sera élu contre toute logique mathématique. «J'avais 17 voix d'avance, je ne pouvais pas perdre, rumine-t-il. Mais il y avait cette cohabitation politico-mafieuse Gaudin-Guérini qu'il voulait maintenir. Et j'ai perdu.»

S'en suivront plusieurs années de traversée du désert. Depuis sa retraite forcée, le dauphin échoué regarde tomber les uns après les autres les nouveaux élus. Evacué, Yves Moraine : le président du groupe LR-UDI au conseil municipal, un temps mis en avant, revoit ses ambitions à la baisse depuis qu'il a été battu dès le premier tour des élections législatives en juin. Evacué, Dominique Tian. L'actuel premier adjoint au maire, lui aussi balayé dans sa circonscription par la vague En marche, est de surcroît rattrapé par une affaire judiciaire de «blanchiment de fraude fiscale» , pour laquelle ont été requis cinq ans d'inéligibilité.

La liste des recalés est encore longue. Le dernier épisode en date remonte à septembre 2017 : le quotidien régional la Provence sort le nom de Bruno Gilles, sénateur marseillais et président de la fédération LR des Bouches-du-Rhône pour lui succéder. C'est le maire en personne, lors d'un dîner confidentiel en juin, qui lui aurait soufflé qu'il était taillé pour le rôle. Interrogé par le journal, l'intéressé ne dément pas, tout en restant prudent : «Je ne me déroberai pas, mais c'est à Jean-Claude Gaudin de l'officialiser.» Ce dernier se gardera bien de le faire, laissant planer le doute. Jusqu'à un nouveau coup de théâtre en décembre : Bruno Gilles, qui souffrait de problèmes cardiaques depuis quelques années, subit une greffe du cœur et doit se mettre au vert quelque temps.

Seule hypothèse crédible à ce jour : Martine Vassal, l'actuelle présidente du conseil départemental… qui a clairement annoncé, lors de ses vœux la semaine dernière, qu'elle briguerait plutôt la présidence de la métropole en 2020. Tout en se désolant du «combat de coqs» que se livrent les prétendants à l'Hôtel de ville : «Le timing est lancé par la presse et tout le monde s'engouffre. Mais la mairie n'est pas une étude notariale, une élection se gagne au suffrage universel ! Moi, je ne rentrerai pas dans la surenchère. Ce qui m'intéresse, c'est de préparer un projet»,commente-t-elle.

«Il ne lâchera jamais !»

«Le mieux à faire aujourd'hui, c'est de ne surtout pas se déclarer candidat, ironise Renaud Muselier, pour qui Jean-Claude Gaudin n'a tout simplement pas envie de transmettre le bâton.«C'est un infanticideur ! Il joue au yo-yo avec ses troupes, crée la discorde, génocide son camp sans jamais se faire prendre, s'énerve-t-il lors d'un entretien téléphonique avec Libération. Il a fait le coup à tout le monde, fait asseoir les prétendants dans son fauteuil, mais il ne lâchera jamais. Il ne veut pas de successeur à droite, c'est tout !»

Sur ce point, Jean-Claude Gaudin ne fait pas exception sur l'échiquier politique français. «C'est une attitude classique chez les maires des grandes agglomérations», confirme Michel Peraldi, sociologue et coauteur, avec le journaliste Michel Samson, du livre Gouverner Marseille (La Découverte, 2005).

«Avant lui, Gaston Defferre avait fait la même chose, mais aussi Jacques Chaban-Delmas à Bordeaux, Jacques Chirac à Paris, détaille-t-il. C'est le système qui veut ça. On touche à ce qu'il y a de plus archaïque en politique, la question de la légitimité : s'organise-t-elle sur les compétences ou sur la filiation ?»

A Marseille, en prime, la culture politique locale corse la donne. «On s'aperçoit qu'ici, les chefs politiques ont conquis le pouvoir par les armes, note l'universitaire. Defferre à la sortie de la Résistance, mais Gaudin a bataillé des années pour décrocher la mairie. Les vrais chefs doivent donc se battre pour conquérir le pouvoir qui, du coup, ne peut se transmettre. Gaudin est sincère quand il dit qu'il ne sait pas qui peut lui succéder. Personne ne lui ressemble. Tant qu'il est là, c'est lui qui va décider de ne pas décider.» Lors de ses vœux, le maire n'a pas dit autre chose, renvoyant ses troupes à la loi des urnes : «Il y a dans ma majorité plusieurs personnalités, des hommes et des femmes, qui ont les qualités nécessaires pour être maire. D'ici à 2020, nous avons le temps de nous mettre d'accord. Au final, ce sont les Marseillais qui choisiront.»Balle au centre.

«Tout cela serait drôle à observer si le Front national n'était pas en embuscade, pointe toutefois Michel Peraldi. La politique a horreur du vide. Or, on se retrouve avec une droite qui cherche sa légitimité, une gauche inexistante, un potentiel candidat En marche qui va mettre du temps à se construire un réseau local. On aboutit à une véritable autoroute pour un Mélenchon ou pour le FN, qui fait 30 % ici. Ils peuvent gagner par défaut.»

Le premier semble encore traîner des pieds, lorgnant plutôt la présidentielle.«C'est moi qui décide, personne ne me tordra le bras. Les municipales, c'est dans deux ans, ça va !», a-t-il répété la semaine dernière à ses troupes locales qui le pressent d'y aller.

A ce jour, la seule candidature officielle émane du Front national : le sénateur Stéphane Ravier, qui a déjà candidaté deux fois, n'a jamais caché son intention de revenir à la charge en 2020. S'il a dû laisser à sa nièce la mairie des XIIIe et XIVe arrondissements, loi sur le cumul des mandats oblige, le frontiste a tenu à la rassurer récemment : «Je ne serai pas très loin, a-t-il promis. Seuls huit kilomètres séparent la mairie de secteur de la mairie de Marseille, sur le Vieux-Port…»A deux ans du scrutin, tout est incertain. Mais en 2020, Marseille devrait avoir un nouveau maire. Parole de Jean-Claude Gaudin : cette fois il ne rempilera pas.