«Monsieur Bendaoud, taisez-vous !» Dans une ambiance surchauffée, la présidente du tribunal suspend temporairement l'audience. Mais elle omet de couper le micro et on peut entendre : «C'est les avocats qui font n'importe quoi.» Sous-entendu, les avocats des quelque 300 parties civiles au procès des «logeurs» de deux des terroristes du 13 Novembre. Vendredi, c'était leur tour d'interroger les trois prévenus, qui pourtant n'ont rien à voir avec la perpétration des attentats. Alors ils ont cherché la petite bête, le détail qui tue.
Me Georges Holleaux, avocat de Life for Paris, l'une des deux associations de victimes, avait pourtant entamé son propos de manière agréable, en s'adressant au logeur en chef, Jawad Bendaoud, dealer et gestionnaire de quatre squats à Saint-Denis. Curieusement, il l'interroge longuement sur ses relations avec ses deux jeunes enfants.
Bendaoud embraye avec plaisir. «Pas un seul jour où mon fils n'a pas ses Pépito, ses Granola, ma fille son paquet de chips.» Avant de nuancer : «J'ai passé dix ans en prison, huit mois avec mes enfants.» Encouragé par l'avocat, il précise : «Le week-end précédent, je les avais amenés au McDo, puis j'avais acheté des glaces.» Me Holleaux peut alors insinuer : «Mais pas le week-end des attentats. Curieux.» Tilt, Bendaoud comprend que l'avocat veut insinuer qu'il avait une tâche plus importante à remplir : loger des terroristes. Le prévenu explose : «Je vais venir vous voir dehors, à votre cabinet, on va parler d'homme à homme !» Son propre avocat, Xavier Nogueras, tente de le calmer. Après interruption et excuses, Me Holleaux insiste sur un autre détail : sa conversation «exceptionnellement» longue, trente minutes et trente secondes, avec Hasna Ait-Boulahcen, alors située près du buisson où est caché son cousin Abdelhamid Abaaoud, l'un des principaux terroristes en fuite. D'habitude, ses coups de fil sont brefs et sibyllins - business oblige. Bendaoud a une explication : «J'ai pris l'habitude de ne pas raccrocher en prison. C'est à cause des robinets d'eau qui se coupent automatiquement, on ne les éteint jamais.» L'avocat insiste : «Vous passe-t-elle Abaaoud au téléphone ?» Bendaoud pète de nouveau un câble : «Vous êtes perché sur un arbre, c'est difficile de vous faire descendre.»
La partie civile tente d'enfoncer le clou, à propos des appels passés à des proches durant l'assaut policier du squat, le 18 novembre 2015, martelant qu'il «aurait dû se douter» qu'il s'agissait de terroristes. «C'est pour vous disculper du fait que vous saviez qu'ils l'étaient», assène Me Holleaux, abandonnant alors le mode interrogatif.
Son confrère Jean Reinhart, avocat de l'association 13.11.15 Fraternité et Vérité, tente de prendre le relais. «Alors vous, c'est même pas la peine d'essayer», évacue Bendaoud. Me Reinhart tente quand même : «Vous deviez vous douter qu'ils étaient recherchés…» Le logeur réadapte son droit au silence, en vitupérant hors micro, assis sur son banc. Brouhaha garanti, plus rien à en tirer.