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Ascométal : dans le Nord, des salariés en plein cauchemar

Il y a dix jours, Macron avait promis aux ouvriers de l'aciérie Ascoval qu’ils pouvaient «dormir sur leurs deux oreilles». Un repreneur suisse laisse pourtant tomber leur aciérie.
Les ouvriers de l’aciérie Ascoval, à Valenciennes (Nord), ont bloqué mardi 30 janvier leur usine pour protester contre les menaces pesant sur leur site. (Photo Marie Rouge)
publié le 30 janvier 2018 à 20h46

Un an sous perfusion et après ? Lors de sa récente visite à l'usine Toyota d'Onnaing (Nord) toute proche, Emmanuel Macron avait promis aux 300 salariés d'Ascoval qu'ils pouvaient «dormir sur leurs deux oreilles». Dix jours plus tard, c'est la douche froide pour les ouvriers de cette aciérie située à Saint-Saulve dans la périphérie de Valenciennes. Le groupe suisse Schmolz + Bickenbach, qui a été choisi lundi par le tribunal de grande instance de Strasbourg pour reprendre le groupe Ascométal, en redressement judiciaire, refuse mordicus de garder Ascoval dans son périmètre industriel.

L'aciériste helvète a posé ses conditions pour sauver 1 350 emplois chez Ascométal : non seulement l'usine de Saint-Saulve ne sera pas reprise, mais trois autres unités de production vont fermer dans un délai de «deux à trois ans» a annoncé le PDG de Schmolz + Bickenbach, Clemens Iller. Sont concernés: une aciérie à Hagondange (Moselle), le laminoir des Dunes dans la périphérie de Dunkerque (Nord) et le train à fil de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhone). Au total, 250 emplois sont menacés sur ces trois sites, selon la CGT, en plus des 300 d'Ascoval. «On a été sacrifiés», a lâché, écœuré, Bruno Kopszynski, le porte-parole de l'intersyndicale d'Ascoval au sortir de l'audience.

«Un accord»

Mardi, Bruno Le Maire, ministre de l'Economie, a donc tenté, à l'issue d'une réunion à Bercy, de rassurer, en mettant en avant l'accord conclu avec le groupe suisse et le français Vallourec, actionnaire à 40 % d'Ascoval, pour maintenir l'activité de l'aciérie de Saint-Saulve : «Nous avons trouvé un accord solide pour une durée d'un an.» Concrètement, Schmoltz + Bickenbach et Vallourec s'engageraient à maintenir leur niveau de commandes d'acier à Ascoval durant douze mois : 80 000 tonnes pour le suisse, 130 000 pour le français, là où il faudrait plus de 250 000 tonnes pour assurer la rentabilité de l'usine.

Mais Le Maire se satisfait d'avoir gagné du temps «pour trouver un repreneur qui garantisse au site de Saint-Saulve des commandes suffisantes pour que le site soit pérenne et l'activité rentable».

Ce chevalier blanc à même de sauver Ascoval semble malgré tout encore très hypothétique. Et le maigre sursis annoncé par le ministre afin de «garantir la pérennité du site pour un an» fait redouter le pire aux syndicats. D'ailleurs, Le Maire a précisé qu'à l'issue de ce délai, on reviendrait «à des conditions normales de marché». En clair, la seule loi du marché. A Bercy, on se prépare déjà à mettre en place des «mesures d'accompagnement» pour les salariés, dans l'hypothèse où personne ne se présenterait pour reprendre l'usine dans un an. C'est dire si le gouvernement y croit.

«En marche vers l’ANPE»

«Il ne faut pas raconter des carabistouilles, s'exclame Xavier Bertrand. Il n'y aura pas de repreneur miracle.» Et peut-être pas de repreneur du tout. Bertrand, qui participait à la réunion à Bercy, a tapé du poing sur la table. «Je ne partirai pas d'ici sans garantie sociale», a-t-il exigé. Il voudrait obtenir une fiducie, un compte protégé où serait placé l'argent d'un plan de sauvegarde de l'emploi haut de gamme, au cas où. Les négociations ne font que commencer.

En attendant, la paix sociale n'est pas gagnée pour le gouvernement, au vu de la colère des métalleux. «Le vrai slogan de Macron : en marche vers l'ANPE» : un ouvrier d'Ascoval a griffonné sa rage sur le dos de son dossard fluo. Il ne digère pas le «vous pouvez dormir sur vos deux oreilles» du Président, qui rappelle les fausses promesses de sauvetage de ses prédécesseurs faites aux métallos de Gandrange ou Florange. Un gars grogne : «Un beau parleur.»

Réduction des effectifs

Ils y croyaient quand Ascométal, le leader français des aciers spéciaux, a repris 60 % des parts de l’aciérie de Saint-Saulve, pour se fournir en matière première, il y a tout juste un an. Mais Ascométal n’a pas eu les reins solides : en novembre, le sauveur a lui-même été placé en redressement judiciaire. Or c’était le plus gros client d’Ascoval. Deux repreneurs se sont alors présentés pour Ascométal : d’un côté, les Anglo-Indiens de Liberty Steel, projet le mieux-disant socialement, promettaient le maintien de l’aciérie de Saint-Saulve.

De l’autre, Schmolz + Bickenbach prévoyait d’emblée une réduction des effectifs. A priori, il n’y avait pas photo. Mais Liberty Steel demandait des aides publiques : les trois régions où Ascométal est installé ont alors accepté de mettre la main au portefeuille, à hauteur de 20 millions d’euros. Avec un gros effort, à 14 millions, de la Région Hauts-de-France, qui veut sauver à tout prix sa sidérurgie.

«Espèce de Yalta»

Mais à l'audience, au tribunal de grande instance de Strasbourg, ce scénario idéal pour les gens d'Ascoval a dérapé : «J'ai vu l'avocat de Liberty devenir tout blanc, raconte Kopczynski, de la CFDT. Il venait de recevoir deux textos : le premier disait que l'Etat ne suivait pas le projet Liberty, le deuxième annonçait le désengagement de la région Grand-Est, qui baissait sa participation à un million d'euros.»

La préférence du tribunal ira donc aux Suisses de Schmolz + Bikenbach qui possèdent leurs aciéries de l'autre côté du Rhin, en Allemagne. «On ne m'enlèvera pas de l'esprit qu'avec le Brexit, il y a une espèce de Yalta, un accord avec l'Allemagne : nous reprenons une partie de la finance [qui était à Londres avant le Brexit ndlr], mais nous ne leur faisons pas la guerre sur le plan industriel», suppute Xavier Bertrand. Des soupçons qui planent aussi sur le feu vert donné par Paris au rachat d'Alstom par Siemens.