Darmanin ? Démission. Telle est «la position officielle» que le chef de LR, Laurent Wauquiez, tente en vain de faire adopter par sa famille politique. Dès lundi, une des porte-parole nommés par Wauquiez, Laurence Sailliet estimait, «compte tenu des graves accusations portées contre lui», que le ministre de l'Action et des Comptes publics n'avait «pas d'autre choix que de démissionner». Une position dictée, selon elle, «par un choix de cohérence», quatre ministres ayant dû quitter le gouvernement après des accusations. «Il ne peut pas y avoir deux poids, deux mesures», ajoute Lydia Guirous, autre porte-parole officielle.
«Haine»
Mais les poids lourds de la droite ne sont pas du tout sur la ligne Wauquiez. A commencer par Nicolas Sarkozy, qui dînait lundi soir à Bercy avec Gérald Darmanin, son ancien directeur de campagne : selon des proches qui se sont confiés au Figaro, l'ex-chef de l'Etat lui a «témoigné affection et amitié». Pourquoi tant de bienveillance ? «Si on obtient la peau d'un ministre sur la foi d'accusations aussi fragiles, on ouvre les portes de l'enfer. Ils savent qu'il ne faut pas jouer avec ça», confie un ancien cadre de l'UMP. Mardi, à l'Assemblée nationale, Christian Jacob a soigneusement évité d'aborder le cas Darmanin en réunion de groupe. Pour le chef de file des députés LR, le risque était trop grand de devoir arrêter une position collective, à rebours complet de celle du nouveau patron du parti. Et ce faisant, de matérialiser la fracture naissante entre un Wauquiez tout feu tout flamme dans son rôle de premier opposant à Emmanuel Macron et une base beaucoup plus prudente s'agissant d'une affaire «grave» touchant un ancien camarade de lutte. «A titre personnel», les députés LR sont de fait nombreux à plaider le «respect de la présomption d'innocence», le «refus de la justice médiatique», et celui tout aussi ferme de «ne pas réclamer la démission» de Darmanin, renvoyé pour la forme à «sa conscience». Quitte à passer sous silence des motivations plus pro domo.
Invité de BFM TV et RMC, le député LR et ancien ministre Eric Woerth, qui avait dû démissionner de son ministère après des procédures judiciaires avant d'être blanchi, a donné le «la» : «Gérald Darmanin ne doit pas démissionner. C'est à la justice de dire ce qu'il s'est passé dans une histoire qui n'a pas l'air extrêmement claire.» Les huiles du groupe LR ne disent pas autre chose. Quoi qu'il leur en coûte. «On est en porte-à-faux, explique le député LR Philippe Gosselin. L'affaire est grave mais on n'en a pas les tenants ou les aboutissants. Je refuse de participer à une curée contre Darmanin et, à titre personnel, je ne demande pas sa démission. Le fait que ce soit un ancien de chez nous qui suscite la haine m'amène à être encore plus prudent.»
Interrogé mardi en marge du buffet déjeunatoire organisé par Les Républicains à la questure de l'Assemblée, Eric Ciotti, ex-porte-parole de Nicolas Sarkozy pendant la primaire de la droite, botte en touche. «Je n'ai pas de jugement à porter, élude le député des Alpes-Maritimes, qui vient de récupérer le poste envié de questeur que lui avait ravi Thierry Solère. Il y a des éléments troublants des deux côtés. C'est au gouvernement de dire si Darmanin est en mesure de rester. Pour ma part, je n'ai jamais usé ou abusé de la demande de démission.»
Un plaidoyer inattendu de la part de celui qui nourrit une rancune tenace à l'endroit de Darmanin. «On se connaît bien puisque j'étais porte-parole de Nicolas Sarkozy et lui son directeur de campagne, mais, en juin, il est venu soutenir le candidat LREM dans ma circonscription, ce que j'ai trouvé assez inélégant, s'étrangle le député, rouge de colère rentrée. Il a dit que c'était à la demande de Sarkozy, ce dont je doute. Quand bien même, en plus, il balance !» L'heure pour lui n'est pourtant pas au règlement de comptes. «Les Français attendent de l'exemplarité, et c'est légitime, estime Ciotti, visiblement contrarié d'avoir à défendre l'ennemi. Mais en toute chose il faut de la mesure. Il faut que la justice aille vite. La situation est inconfortable pour tout le monde.» Un comble.
Pas dupes
Sentant le hiatus, Christian Jacob cherche la parade politique : «Ce qui est surprenant, c'est le silence du président de la République qui, d'ordinaire, se précipite sur tous les sujets… s'étonne le patron du groupe LR face aux médias. C'est à Darmanin de juger en son âme et conscience et de décider avec le Président ce qu'il fait.»
Dans les couloirs de l'Assemblée, certains députés LR ne sont pourtant pas dupes de la retenue de quelques-uns de leurs collègues. «Chez LR, certains défendent Darmanin, et on sait pourquoi… confie un parlementaire du parti de droite. On sait tous que la déflagration de #Balancetonporc n'est pas terminée. Le couvercle a été tenu tellement longtemps qu'à un moment, ça pète. Il y a eu trop de complaisance, d'intimidations, de harcèlement, d'ascendant psychologique sur les femmes. Elles en ont marre et je les comprends, l'occasion est belle…»
Et un autre de conclure : «Sur le moyen terme, je pense que ce sera difficilement tenable pour Darmanin.» Mardi soir, le ministre n'était pas à l'Elysée pour entendre les vœux du chef de l'Etat aux forces vives. Macron rendait hommage aux «héros» de 2017, parmi lesquels la journaliste Sandra Muller, à l'origine du hashtag #Balancetonporc.