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Libération
Éditorial

Droit de se taire

publié le 4 février 2018 à 20h46

Rarement la parole d'un homme a été, tout à la fois, aussi attendue, espérée et crainte. Salah Abdeslam, le seul terroriste survivant du 13 Novembre, est aujourd'hui la dernière chance pour lever ce qui reste de mystères de l'attentat le plus meurtrier depuis 1945 en France. Trop de questions sont encore sans réponses pour faire le deuil de la virée macabre de cette soirée à la douceur incroyablement estivale. Pourquoi ce jour-là et pas un autre ? Pourquoi précisément ces cibles parisiennes ? Etaient-elles le résultat d'un plan élaboré ou celui du hasard ? Nul ne sait. Alors, oui, serait-on tenté d'écrire, Salah Abdelsman doit parler. Parler pour les victimes. Parler pour mettre des mots sur l'indicible de cette nuit. Pour espérer y trouver un motif de compréhension ou de colère et donc de soulagement. Pourtant, cette légitime attente risque d'être déçue. D'abord parce que ce procès n'est pas celui de la nuit du Bataclan, mais celui des conditions de la fuite d'un terroriste islamiste, terré dans la banlieue de la Bruxelles. Ensuite, et sans présager de sa stratégie de défense, l'homme est jusqu'à présent demeuré mutique. Et il y a fort à parier que s'il persiste, ce silence sera interprété par les parties civiles et l'opinion comme une marque de mépris ou de défi. Ce sera difficile de plaider l'inverse. Pourtant, faut-il le rappeler, ce droit à se taire est un droit élémentaire, fondamental, inscrit noir sur blanc dans nos textes de loi. Voilà pourquoi il ne peut pas y avoir d'injonction à parler. Y compris pour Salah Abdeslam. Ou alors, il faudrait que notre Etat de droit s'interroge sur les conditions d'isolement infligées à ce prisonnier hors norme. Son ex-avocat, Frank Berton, avait averti : «Il ne peut pas y avoir de parole sans humanité.» Si ce régime carcéral inédit peut se justifier sur le plan de la sécurité, le moins que l'on puisse dire est qu'il ne prépare pas à l'épreuve de la confession.