«Avenue du Colonel-Colonna-d'Ornano». L'intitulé taille un peu grand. Là où on a assassiné le préfet Claude Erignac, voilà vingt ans, on parlerait plutôt d'une rue. Elle est toute simple, avec ses hauts immeubles aux tons ocre, sa pizzeria, son salon de toilettage pour chiens (le Boule Dog). Mais chaque 6 février, le temps d'une commémoration, elle perd un peu de sa banalité. Mardi matin, rincée par la pluie, elle a vu débarquer Emmanuel Macron, venu commémorer le «premier préfet à tomber en temps de paix». Le chef de l'Etat a inauguré une «place Claude-Erignac» - quelques mètres de trottoir ornés d'une stèle et d'un olivier. Et conclu son éloge par des signaux de fermeté adressés aux nationalistes, en présence du président de l'exécutif insulaire, Gilles Simeoni.
L'hommage ouvrait une visite de deux jours en Corse, la première de Macron depuis son élection. Dans un discours prévu mercredi à Bastia, il dira jusqu'où il est prêt à entendre la majorité locale : large gagnante du scrutin local de décembre, elle réclame une plus large autonomie de l'île. Mais dès mardi, dans son discours à la mémoire du préfet Erignac, le chef de l'Etat a posé deux principes : une justice «sans complaisance, sans oubli et sans amnistie» pour les assassins du préfet, et le refus de toute «requête qui ferait sortir la Corse du giron républicain».
Le contexte, il est vrai, n'admettait guère un autre registre. Surtout après qu'un discours de Dominique Erignac avait ouvert la cérémonie, devant un public où figuraient notamment les ministres Gérard Collomb, Jacqueline Gourault et Marlène Schiappa, le président du Sénat, Gérard Larcher, et l'ancien ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement. Mais pas en présence du président de l'Assemblée de Corse, l'indépendantiste Jean-Guy Talamoni, qui avait jugé sa venue «déplacée», et d'ailleurs «pas souhaitée» par la famille Erignac.
«Lieux maudits»
«Je ne pensais jamais revenir sur ces lieux maudits», a déclaré d'une voix fragile l'épouse du préfet, de retour en Corse pour la première fois depuis la mort de son mari. Vêtue de noir, entourée de ses deux enfants, elle a évoqué l'assassinat du préfet par «un commando terroriste de nationalistes corses, de la plus lâche des manières : la nuit, par derrière, de trois balles dans la tête», alors qu'il se rendait à un concert. «Depuis vingt ans, il ne nous est permis de vivre qu'avec la mort de Claude et son absence : c'est la peine à laquelle les terroristes nous ont condamnés tous les trois», a poursuivi la veuve, refusant de considérer «comme [elle l'a] lu, que la page est tournée. Comment pourrait-elle l'être, alors qu'elle est tachée de sang ?» Dans le public, Gilles Simeoni encaisse : le propos fait directement référence à sa volonté, souvent répétée, de «tourner une page d'une situation conflictuelle».
«Une infamie»
Prenant la parole à son tour, un Macron tout en gravité distinguait longuement la «vraie» résistance, celle des héros de guerre corses, du terrorisme nationaliste, «qui n'a rien à voir avec une prétendue lutte de libération». Le meurtre du préfet Erignac, une «infamie qui a déshonoré à jamais ses auteurs», «ne se justifie pas, ne se plaide pas, ne s'explique pas», a-t-il poursuivi. Un propos qu'il n'était pas anodin de tenir devant Gilles Simeoni, ancien avocat d'Yvan Colonna. «La Corse, terre de fierté et de dignité, a été salie par ce crime», a encore lancé le chef de l'Etat, refusant donc d'envisager toute amnistie pour ses auteurs. Et promettant : «Je suis ici pour rompre avec les faux-semblants, reprendre les chemins de la franchise, sans non-dits, sans détours.»
Autant de messages reçus cinq sur cinq, semble-t-il, par Gilles Simeoni : rapidement après la fin de la cérémonie, ce dernier quittait les lieux sans un mot. D'autres élus nationalistes renvoyaient, «par respect», les commentaires à plus tard. «Ils ont pris cher», convenait un représentant de la droite insulaire, se félicitant quant à lui d'un «discours qui avait du coffre».
Difficile de juger, mardi après-midi, dans quelle mesure cette première séquence pèsera sur le reste du voyage présidentiel. Notamment sur l'entretien prévu le soir même entre le chef de l'Etat, Gilles Simeoni et son allié indépendantiste Jean-Guy Talamoni. Dans un communiqué publié lundi, le président de l'exécutif corse avait jugé «artificielle» toute «distinction entre ce qui relèverait du mémoriel d'un côté, et du politique de l'autre». Emmanuel Macron a semblé, mardi, vouloir lui donner raison.