La révolution des mobilités chamboule aussi bien les déplacements que le cadre de vie au sein d’un milieu urbain pensé, durant des années, uniquement pour le tout automobile. Ainsi, l’apparition du premier couloir de bus à Paris dans les années 1960 - «en 1964 quai du Louvre», précise un spectateur bien renseigné de l’auditorium de la Maison de la RATP - a constitué un premier bouleversement dans le partage des chaussées parisiennes. La création de bandes cyclables et la multiplication, ces dernières années, de trottinettes et autres monocycles électriques sur les trottoirs ont achevé de découper l’espace en lanières et de faire de la voie publique un milieu particulièrement complexe avec la coexistence de mobiles de plus en plus divers…
«Encourager la cohabitation oui, mais à condition que l'accessibilité universelle de l'espace s'en trouve renforcée», prévient Jacques Lévy, professeur de géographie et d'urbanisme à l'Ecole polytechnique de Lausanne. «Il faut donc en finir avec ce modèle de spécialisation et d'accaparement de l'espace public par les véhicules privés individuels, c'est ce qui a fait le plus de mal à la ville», poursuit-il. «Le problème, c'est que l'espace public a été conçu pour les bagnoles», regrette également Daniel Guiraud, maire des Lilas et vice-président de la métropole du Grand Paris. L'édile plaide, entre autres, pour une diminution du nombre de voitures en circulation et la mise sur pied d'un plan de reconversion des grandes autoroutes urbaines jugées mortifères tant sur le plan environnemental qu'en matière d'urbanisme.
Au côté de Sibylle Vincendon, journaliste à Libération qui animait ce débat (première photo) Jacques Lévy (géographe et urbaniste), Daniel Guiraud, maire des Lilas, vice-président de la métropole du Grand Paris (deuxième photo), Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, chargé de l’urbanisme (troisième photo) et Philippe Dewost, directeur de Leonard, le laboratoire des villes et infrastructures (ci-dessus).
Et c'est justement par la voiture - autonome partagée et connectée celle-ci - que peut notamment passer la reconquête de l'espace public, à en croire Philippe Dewost, directeur de Leonard, la plate-forme de prospective et d'innovation de VINCI. «Avec le véhicule autonome on peut envisager de libérer une partie de la surface de la voie publique actuellement occupée par les voitures en stationnement», explique-t-il. Et Philippe Dewost de poursuivre : «une partie de ces véhicules auront de facto l'autonomie d'aller se garer dans les zones où ils sont le moins nuisibles voire de se rapprocher des zones d'intermodalités qui permettront de connecter les couronnes de circulation et le cœur de ville». «C'est un véritable enjeu dans les zones périurbaines», affirme Jacques Lévy. «Ces voitures autonomes partagées peuvent être une occasion de repenser les déplacements dans ces aires traditionnellement propices à la voiture individuelle.»
«Attention à ne pas en faire un outil d'étalement urbain. Les opportunités sont exceptionnelles, mais le risque est sérieux : le véhicule autonome c'est aussi le problème d'un certain point de vue», tempère Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris chargé de l'urbanisme. L'élu appelle également les pouvoirs publics à bâtir face à ces nouveaux acteurs de la mobilité et de l'intelligence artificielle des outils de régulation pour orienter les stratégies des acteurs privés et définir des règles du jeu claires. «Faute de quoi, craint-il, les pressions exercées par les opérateurs privés pour obtenir des espaces sécurisés pour leurs véhicules autonomes et leur mainmise sur les données pourraient faire de ces acteurs les nouveaux maîtres de la mobilité en ville».
«L'autorité qui est la mieux à même d'organiser l'espace public c'est celle qui a reçu mandat de ceux qui y vivent. Il va falloir qu'un dialogue s'instaure avec les constructeurs pour anticiper, gérer et orienter les futurs flux de véhicules autonomes», appuie Philippe Dewost. «Il faut sortir de la logique qui fait du véhicule autonome un smartphone avec des roues», conclut le directeur de Leonard, faute de quoi les villes ne pourront pas reprendre la main sur l'espace et seront condamnées à rester dans une logique purement industrielle pilotée par quelques grands opérateurs de flotte automobile.
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