Dès les premières semaines de son mandat, Macron a confirmé son attachement à l'arme atomique : en visitant un sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) à la base de l'Ile-Longue dans le Finistère. Puis en allant à Istres, où sont stationnées les forces aériennes stratégiques. Sorte de mini-livre blanc paru en novembre, la Revue stratégique le pose en introduction : «Le maintien sur le long terme de la dissuasion […] demeure plus que jamais nécessaire.»
Investissements. «La dissuasion a rarement été aussi légitime, juge Bruno Tertrais, qui participait au groupe "défense" du candidat Macron. Aujourd'hui, on renoue avec une situation proche de la guerre froide, avec un besoin d'indépendance vis-à-vis des Etats-Unis et un problème stratégique russe majeur.» Et le monde se réarme, outre-Atlantique comme en Asie (lire page 5). «La dissuasion est toujours pertinente. La fin de la guerre froide n'a pas laissé s'installer un monde stable, il est au contraire de plus en plus imprévisible», appuie la chercheuse Tiphaine de Champchesnel, de l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire. Elle en veut pour preuve les priorités définies dans la Revue stratégique. Après le terrorisme, menace numéro 1, arrive «le renouveau de la puissance russe». «La dissuasion est la garantie ultime de la position de la France dans le monde», résume l'un de ses artisans les plus directs, François Geleznikoff, directeur des applications militaires au Commissariat à l'énergie atomique.
Si la dissuasion ne peut pas tout, elle concourrait à éviter le pire. «A condition que soit assurée sa crédibilité politique, technique et capacitaire», précise Champchesnel. La première passe par la réaffirmation de la doctrine par la plus haute autorité - tous les présidents y ont consacré un discours. Les deux autres reposent sur une modernisation continue, et donc des investissements comme ceux prévus par la loi de programmation militaire. Macron l'a dit lors de ses vœux aux armées, il souhaite le renouvellement des deux composantes : «La force océanique, par la permanence à la mer, nous protège de toute surprise stratégique et la composante aérienne, par sa démonstrativité, fait partie du dialogue de dissuasion.» Soit, selon la formule de Hollande, «une qui ne se voit pas et une autre qui se voit». «Elles peuvent toutes les deux participer à l'ensemble des missions», ajoute Tertrais, par exemple «l'emploi en premier» de l'arme atomique en réponse à une attaque non nucléaire. Pour assurer la «crédibilité technique et capacitaire» de la dissuasion, l'exécutif veut y consacrer environ 5 milliards d'euros à partir de 2020, contre quelque 3,6 milliards aujourd'hui (les montants exacts sont secrets), avant d'atteindre 6 milliards en 2025.
Complémentarité. «Il est normal et sain de reposer la question du renouvellement dans un contexte budgétaire contraint», observe Tiphaine de Champchesnel, qui défend la complémentarité des composantes. Pour Tertrais, cette «pérennisation» s'opère à moindre coût, en raison de choix faits : les futurs SNLE et leur missile balistique seront seulement des évolutions des modèles actuels. «La composante aérienne a un rapport coût-efficacité très intéressant, considère l'expert. Elle tire vers le haut l'ensemble de l'armée de l'air. Les performances techniques et opérationnelles des forces stratégiques, en termes d'entraînement, d'allonge et de précision, "ruissellent" sur les forces conventionnelles.» Le missile nucléaire des forces aériennes demandera des évolutions plus importantes, souligne Geleznikoff : «Il y a deux choix : soit la furtivité et l'invisibilité pour les radars, soit l'hypervélocité accompagnée de mouvements du missile pour échapper aux intercepteurs.» Une technologie particulièrement complexe dont la maîtrise n'est pas acquise.