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Analyse

Notre-Dame-des-Landes, vers un compromis en terres promises

Notre-Dame-des-Landes, l'aéroport enterrédossier
Revente à leurs anciens propriétaires ou à de nouveaux acquéreurs ? Après l’abandon du projet d’aéroport par le gouvernement, le devenir des 1650 hectares rachetés par l’Etat fait débat parmi zadistes et paysans.
Une figure des anti-aéroport, Sylvain Fresneau, à Notre-Dame-des-Landes, le 17 janvier. (Photo Cyril Zannettacci pour Libération)
publié le 9 février 2018 à 20h36

Si les zadistes de Notre-Dame-des-Landes acceptaient leur lot de héros et de figures, ils auraient déjà taillé un totem en châtaignier à la famille Fresneau. Ces paysans historiques de la «zone à défendre» (la ZAD), toujours un coup à boire pour les militants, se sont accrochés par les ongles à leur ferme de la Vache rit, à une vingtaine de minutes de Nantes. Un ensemble qui devait laisser place à une piste d'atterrissage, avant que le gouvernement n'enterre le 17 janvier le projet d'aéroport du Grand Ouest. Or, ce vendredi 9 février, Sylvain Fresneau, 56 ans, trempé à l'engrais des luttes depuis l'enfance - la décision du chantier date de 1963 -, s'est réveillé «libéré». La déclaration d'utilité publique (DUP) enregistrée en 2008, qui cadrait le projet, vient d'expirer. «C'est une date encore plus importante que l'annonce du Premier ministre le 17 janvier, confie-t-il. Cette fois, l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, c'est bel et bien fini.»

Certains zadistes disent avec respect : «Vous savez, les Fresneau squattent dans leur propre ferme.» Expropriées, quatre générations logeant sous le même toit étaient menacées d'expulsion à tout moment. Sylvain Fresneau corrige : «Nous ne squattions pas, parce que nous n'avons jamais accepté de toucher de l'argent.» Sa famille fait en effet partie de ces propriétaires irréductibles. Quand le conseil général de Loire-Atlantique rachète au début des années 2000 les 1 650 hectares de prés, forêts et bocages (le foncier a été transmis à l'Etat depuis), certains ont accepté de toucher leur indemnité à 16 centimes le mètre carré. Les Fresneau ont toujours refusé de vendre et de percevoir la somme, qui est donc bloquée à la Caisse des dépôts et consignations. Désormais, ils vont négocier avec l'Etat la restitution de leurs biens, la fin de l'aéroport leur permettant de contester les motifs de leur expropriation. «C'est un cas de rétrocession», indique leur avocat, MErwan Le Moigne.

Emphytéotique

Si le sort des Fresneau semble assez clair, les discussions sur le devenir des parcelles devraient s’étendre jusqu’à la fin 2018. La plupart d’entre elles sont en indivision, avec des copropriétaires qui peuvent être d’avis divergents : souhaitent-ils racheter les terres qu’ils ont cédées au moment des expropriations ? Renoncer à leur ancien bien ? Dans ce cas, l’Etat cherchera-t-il d’autres acquéreurs pour ses 1 650 hectares, dont la valeur est évaluée par certaines sources à 5 millions d’euros ? Et quid des zadistes qui occupent les prairies ou fermes abandonnées, qui y résident (cabane, caravane, yourte) et y travaillent (potager, brasserie, boulangerie, atelier de menuiserie, etc.), et qui sont sommés de partir avant fin mars par le gouvernement ?

Alors que plusieurs militants s'imaginent encore pouvoir négocier avec l'Etat, le Premier ministre, Edouard Philippe, a déclaré que «les règles de droit devront s'appliquer sur ce territoire». Les arbitrages seront rendus par la Commission départementale d'orientation agricole (CDOA), organisme d'Etat placé sous l'autorité de la préfecture, composé de la chambre départementale d'agriculture, des organisations syndicales, des banques, de la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) et des coopératives professionnelles. Les prix de rachat seront fixés par la Direction de l'immobilier de l'Etat après expertise foncière en suivant la classification des terres - prairies, zones irrigables, marais, bois… Trois options juridiques sont à l'étude, afin d'éviter un délogement par la force des militants. Soit l'Etat transfère l'usufruit de ses propriétés à des sociétés ou groupements agricoles ; soit les exploitations sont vendues au cas par cas à différents propriétaires, qui réinstaurent le système des baux ruraux (il y a des propriétaires et des locataires pour chaque parcelle) ; soit l'Etat signe un bail emphytéotique (d'une durée pouvant atteindre quatre-vingt-dix-neuf ans) avec une entité juridique qui fédérerait les paysans et les zadistes.

Cette dernière solution est peu ou prou celle qui fut appliquée au Larzac, en Aveyron, lorsque l'Etat renonça à y installer son camp militaire, en 1981. C'est cette piste qui aurait la préférence des zadistes. Pour eux, la question de la propriété «ne fait pas grand sens» : ils lui préfèrent «la valeur d'usage». Ce type d'accord permettrait en outre d'éviter un possible conflit entre d'une part les agriculteurs qui ne sont plus expulsables et vont retrouver leurs terres, et d'autre part les militants radicaux qui sont visés par les menaces d'expulsion.

Deux camps

La cohabitation zadistes-paysans n'est pas l'option retenue par le gouvernement. «Nous dialoguerons avec tous ceux qui peuvent occuper ces terrains de façon légale», indique le ministre de l'Agriculture, Stéphane Travert. Tout en rappelant : «J'ai lancé qu'une part des terrains pourrait revenir à l'agriculture bio et sous signe de qualité pour alimenter la restauration collective régionale. Nous pouvons également consacrer ces terrains à des expérimentations sur les pratiques agronomiques et à des start-up sur la recherche.» Le ministre campe la fermeté : «Ceux qui occupent le terrain sans titre de propriété doivent partir et, auparavant, ils doivent nettoyer le site. Ce ne sera pas comme dans le Larzac.»

Côté syndical, deux camps s'opposent. Le premier, constitué de la FNSEA (organisation majoritaire) et de la Coordination rurale (deuxième représentation nationale), se montre inflexible. «Les terres doivent revenir aux agriculteurs et ceux qui ont été expropriés seront prioritaires s'ils veulent racheter», déclare Bernard Lannes, président de cette dernière. «Nous souhaitons que l'agriculture dans ce secteur reprenne ses règles et ses droits comme auparavant, renchérit Joël Limouzin, vice-président de la FNSEA. Que ce soit en bio, conventionnel, circuits court ou long ou de la vente directe. En revanche, nous ne sommes pas favorables à ce que cela devienne un lieu d'expérimentations comme le proposent le gouvernement et la préfète.»

En face, la Confédération paysanne, par la voix de son porte-parole, Laurent Pinatel, défend l'idée «d'une invention collective pour déboucher sur un fonctionnement qui permette à tout le monde de vivre ensemble».

En attendant que se règle le destin de ces terres et forêts, les zadistes, militants et autres sympathisants célébreront ce samedi la fin de la Déclaration d’utilité publique (DUP) avec prises de parole, défilé, fest-noz et rave-party. Une fête commune avant que certains s’installent durablement et que d’autres reprennent la route pour de nouvelles contestations, pour de nouvelles ZAD.