«Un Nuit debout qui a réussi» ? «Une sorte de mini-Commune» ? Comme écrire l'histoire est le privilège des vainqueurs, et même s'ils redoutent le triomphalisme, les habitants et militants de Notre-Dame-des-Landes, au nord de Nantes, cherchent un début d'explication à leur succès politique, un récit de la lutte oscillant entre la réalité des faits et leurs propres mythes, après l'annonce le 17 janvier de l'abandon du projet d'aéroport. Libé a déjà collecté chez ceux qui ont vécu la lutte des variations et dissonances aussi nombreuses que les partitions entre paysans, citoyens et «radicaux» (les «zadistes») et leurs sous-divisions.
Les «vainqueurs», volontairement anonymes, s'accordent sur le constat que Notre-Dame-des-Landes est un des très rares succès écolos et sociaux en France depuis quarante ans et cernent deux leviers d'action. Le premier : «On se battait pour un lieu précis et pas seulement pour une idée, la lutte était enracinée dans le terrain.» D'ailleurs, la micro-société née sur la «zone à défendre» depuis le début des années 2000, doit «poursuivre ses expérimentations» au-delà de l'ultimatum du gouvernement qui veut évacuer la «ZAD» de ses activités non agricoles d'ici la fin mars. Second facteur : la mobilisation gagne grâce à la «composition» des luttes - le mot «convergence» est délaissé, pour cause de relents institutionnels.
Les plus anciens remontent aux années 60 pour placer «NDDL» dans une tradition rassembleuse des combats. «Des étudiants maoïstes venaient travailler dans les fermes du coin et apprendre auprès des paysans, qui apportaient leurs récoltes aux usines en grève.» Cette «composition» a permis, entre autres, d'éviter la construction des centrales nucléaires du Pellerin (1983) et du Carnet (1997). «La région de Nantes a une grosse culture politique», dit Joël, la soixantaine. Camille, 32 ans, lui répond : «On est quand même loin de ce que vous avez vécu, le Vietnam, Mai 68 ou le Larzac.» Pour ce zadiste, «Notre-Dame-des-Landes s'est imprégnée de ces luttes tout en cherchant son propre modèle. Nous sommes la première génération qui n'a pas milité guidée par un leader révolutionnaire tropical qui a ensuite déçu. Nous y sommes allés sans parti, sans étiquette, sans utopie trop prédéterminée. Il y a des points communs avec d'autres luttes. Mais nous sommes plus dépersonnalisés. Nous avons inventé autre chose.»