Happening juridico-financier ce lundi à Paris. Apple, las d’être pris pour un symbole de l’évasion fiscale, attaque Attac en vue de l’empêcher de multiplier ses opérations médiatiques. Une multinationale ferraillant contre une ONG : du grand classique, mais une première pour la firme américaine.
Dans son assignation, la marque à la pomme se la joue grand seigneur, respectueuse de la liberté d'expression, «droit fondamental» à ses yeux dont elle se dit la garante, se targuant d'une «longue tradition de soutien aux individus et groupes qui expriment paisiblement leurs opinions». Sauf que le vendeur de tablettes et de smartphones ne supporte plus les intrusions bon enfant d'Attac, dont l'objet social consiste à «promouvoir la reconquête, par les citoyens, du pouvoir que la sphère financière exerce sur la vie politique, économique et sociale».
La cible était toute trouvée pour l’ONG : en 2016, Apple a écopé d’un redressement fiscal record de 13 milliards d’euros, notifié par la Commission européenne, pour avoir logé en Irlande ses bénéfices sur le Vieux Continent, via un détour par l’île anglo-normande de Jersey. Il était donc naturel que la marque devienne la tête de Turc d’Attac.
Depuis quelques années, ses militants multiplient les actions symboliques devant les Apple Stores. Pour y avoir assisté à plusieurs reprises, Libération peut témoigner d'une ambiance débonnaire : les vitrines sont repeintes à l'extérieur, histoire de représenter l'opacité de la firme. Avec du blanc de Meudon, peinture lessivable issue de la craie - «un coup d'éponge et ça s'en va», assure un militant.
«Vandalisme»
Longtemps, Apple a laissé faire ou dire. La marque s'est réveillée après un crime de lèse-majesté : l'occupation pendant trois heures, le 2 décembre, en pleines courses de Noël, de son magasin place de l'Opéra à Paris. Passe encore que les militants d'Attac peinturlurent ses vitrines avant l'ouverture des boutiques, mais là, en plein rush commercial… Apple Retail France dénonce ainsi un «vandalisme de ses magasins», les alterfiscalistes étant accusés de «compromettre la sécurité des clients et des employés». Chargeant un peu plus la mule, la multinationale évoque également une «démonstration de force massive d'individus ou groupe radicaux». Attac acceptera (ou non) l'hommage…
Mais ce n'est qu'à la toute fin de son assignation que la firme paraît en venir à l'essentiel : «Ces intrusions troublent gravement le fonctionnement de l'activité commerciale des magasins Apple.» Nous y voilà. L'ONG ne réclame pourtant pas ouvertement un boycott des produits siglés d'une pomme, se contentant de publier un rapport sobrement intitulé «Apple, le hold-up mondial» (1).
Procédure d’urgence
Dénonçant un «chantage inadmissible», l'entreprise demande à la justice française d'interdire à Attac toute intrusion dans ses magasins, sous astreinte de 150 000 euros d'amende par manquement. L'assignation déposée par Apple n'est qu'un référé, une procédure d'urgence, privilégiant la forme au fond, dont l'une des conséquences consiste à demander le «concours de la force publique» en cas de future occupation.
Avant l’audience aura lieu un rassemblement de soutien à Attac auquel participeront de nombreuses personnalités de gauche (sauf du PS) : Eric Coquerel, Yannick Jadot, Benoît Hamon, Clémentine Autain… Et même un représentant de la CGT d’Apple.
(1) La firme affiche un taux officiel d'imposition de 17,6 % sur ses bénéfices mondiaux. Elle est assez taxée aux Etats-Unis (35 %), mais ses profits restants, sur les deux tiers de la planète, ne le sont qu'à un modeste 4,5 %. Dont un très symbolique 0,005 % au sein de l'UE (avant redressement de la Commission européenne).