Ils sont, au choix, désignés comme des «enclos de verre», des «aquariums» ou des «cages de fer». Depuis l'été 2017, les avocats de la France entière se dressent contre ces nouveaux box hermétiques qui fleurissent dans les salles d'audience depuis quelques années. La chancellerie, elle, les appelle «box sécurisés» et justifie leur construction par la nécessité de «répondre à la menace terroriste». Un arrêté d'août 2016 précise les modalités de leur généralisation : «deux types de sécurisation du box des détenus sont recommandés, le premier à vitrage complet du box, le second à barreaudage en façade avec un vitrage sur les faces latérales côté public et côté magistrats».
Il suffit de faire un rapide tour de France pour en répertorier quelques exemples. A Grenoble ou à Meaux, on voit un bocal en verre avec quelques petites lucarnes. A Colmar, ce sont des barres horizontales qui ont provoqué l’ire des avocats, aboutissant à leur remplacement par du verre. A Alençon, des barreaux. A Nîmes, même dispositif, avec des filins au plafond qui lui valent le surnom de «fosse». Si la ministre de la Justice a pris acte de la vive contestation des acteurs du monde judiciaire et décidé de suspendre la construction des box de la discorde, plusieurs actions sont toujours en cours pour obtenir leur démontage.
«Bêtes en cage»
C'est ainsi que des robes noires d'une vingtaine de barreaux, ainsi que le syndicat des avocats de France (SAF, classé à gauche), le Conseil national des barreaux et la Conférence des bâtonniers, ont assigné devant le tribunal de grande instance de Paris la ministre de la Justice et l'agent judiciaire de l'Etat pour «faute lourde». Ils ont demandé en réparation une «remise en l'état». Lors de l'audience du 15 janvier, ils se sont insurgés contre ces box qui portent atteinte à la présomption d'innocence et aux droits de la défense. «Il est anormal, au XXIe siècle, de juger les gens comme des bêtes en cage, a plaidé Me Gérard Tcholakian pour le SAF. Le code de procédure pénale le dit bien, "l'accusé comparaît libre et seulement accompagné de gardes pour l'empêcher de s'évader".
Tour à tour, les autres avocats ont raconté des situations «ubuesques» et «kafkaïennes» pour communiquer avec leur client à travers les minces ouvertures et déploré une «logique administrative aveugle» ou une «paranoïa sécuritaire». De leur côté, les conseils de la chancellerie ont mis en avant l'irrecevabilité de la demande, arguant de l'incompétence du juge judiciaire. Ils ont soutenu que c'est l'arrêté du 18 août 2016 qui est visé, et donc que seul le juge administratif est compétent.
Message encourageant
Finalement, dans sa décision rendue ce lundi, le tribunal n'a pas suivi ces arguments et s'est déclaré compétent. Sans donner gain de cause aux avocats des différents barreaux, estimant leur demande irrecevable. Selon le jugement consulté par Libération, il estime que seuls les «usagers du service public de la justice» – soit les clients des avocats et non l'avocat en sa qualité «d'auxiliaire de justice» – peuvent le cas échéant faire condamner l'Etat pour «faute lourde». «Il faut donc établir l'existence d'un lien effectif et personnel entre l'usager du service public de la justice et la procédure pour laquelle il dénonce un possible dysfonctionnement», est-il précisé.
En ce sens, le SAF y voit un message encourageant : la décision «ouvre pour chaque justiciable la possibilité d'agir en justice pour dénoncer et démontrer les conditions inacceptables dans lesquelles l'institution judiciaire souhaite juger des gens comme des bêtes, au mépris des droits fondamentaux», est-il écrit dans un communiqué faisant suite au jugement. Cette décision reste la première d'une série à venir. A Nanterre, la justice a ordonné une expertise des box, qui aura lieu le 19 mars. Une autre, diligentée par le barreau de Versailles, est attendue le 22 février.