Ils sont assis derrière une table sur la scène du théâtre de Cergy (Val-d'Oise), ce jeudi 21 décembre, faisant face à un public de lycéens nourris de leurs ouvrages et prêts à poser une myriade de questions. Bérengère Cournut, Alexandre Seurat, Tanguy Viel, Guy Delisle et Mélanie Leblanc - cinq des quarante auteurs en compétition (lire encadré ci-contre) - attendent de répondre à une salve d'interrogations. Le prix littéraire des lycéens 2017-2018, organisé par la région Ile-de-France, est lancé.
Le dialogue s'engage sur la lecture. Quand naît la passion ? Pour les écrivains, rien d'évident. Bérengère Cournut (auteure de Née contente à Oraibi, Le Tripode) : «Je lisais peu de livres mais je procédais par imprégnation… J'écris des histoires depuis l'âge de 7 ans.» Autre approche pour Tanguy Viel (Article 353 du code pénal, Minuit) qui explique n'avoir fréquenté que des classiques jusqu'à l'heure du bac, et que «le passage à l'acte d'écrire» a été difficile. Alexandre Seurat (l'Administrateur provisoire, Le Rouergue), de son côté, est allé rôder sur les rivages littéraires de Jean d'Ormesson ou de François Bergounioux, et a pratiqué dans un atelier d'écriture avec François Bon. Quant à Guy Delisle et son palpitant récit en bande dessinée (S'enfuir, récit d'un otage, Dargaud), il précise avoir attendu quinze ans avant de s'attaquer à cette histoire de kidnapping d'un humanitaire.
Petit carnet
Les questions succèdent aux interrogations. Dans la salle, Shanez, lycéenne, demande si l'histoire de l'enlèvement est réelle. Bien sûr, lui répond l'auteur et dessinateur : «Je voulais être au plus près de l'histoire.» Shana se lance dans une question toute existentielle. Les écrivaines ont-elles peur de la page blanche ? Bérengère Cournut avance : «Jamais. C'est plutôt la peur d'écrire quelque chose de mauvais qui me vient.» Chacun sa méthode. Toutes les manières diffèrent. Alexandre Seurat confie qu'il possède toujours sur lui un petit carnet sur lequel il note ce qui lui passe par la tête, «ce qui lui sert par la suite de matériau». De la matière, Tanguy Viel explique en avoir toujours trop. Chez lui, finalement, ce serait plus une question de gestion du surplus : «J'ai un encombrement dans le cerveau, comme une page trop chargée. Ecrire, cela peut prendre beaucoup de temps et être très angoissant.» Mélanie Leblanc (auteure de Des falaises, Cheyne), pour sa part, avouera avoir «plein d'idées», «juste le besoin de prendre le temps pour le faire» . Enfin, Guy Delisle affiche sa méthode : «Le matin, je prépare les cases, les phrases. L'après-midi, je dessine en écoutant la radio ou de la musique… Il y a une forme d'angoisse autour de la question "sur quel prochain thème vais-je travailler ? Que faire après ?"»
Comment choisit-on son sujet ? Bérengère Cournut explique avoir eu envie de travailler autour des Amérindiens parce qu'elle était «en voyage à Albuquerque», aux Etats-Unis, et qu'elle n'avait pas de projet de roman. Sa fascination pour l'univers du peuple hopi a fait le reste. Et d'ailleurs, combien de temps pour écrire un livre, demande Boubou ? Cinq mois pour Guy Delisle. Deux ans pour le premier ouvrage d'Alexandre Seurat, qui ironise : «Là, le texte qui paraît fait 190 pages, et j'ai eu l'idée de l'écrire il y a dix ans…» Bérengère Cournut balaie la question en disant qu'il n'y a pas de règle précise. «J'ai écrit un livre en trois semaines, mais pour un autre je peux mettre quinze ans !» A chacun de trouver un rythme qui ressemble à sa «biologie», conclut Tanguy Viel.
«Crimes de papier»
Le temps passe, les questions s'enchaînent. Facétieuse, Camille demande aux auteurs de «résumer» leurs ouvrages en trois mots. Bien sûr, personne ne s'exécutera. Messah, s'adressant à Mélanie Leblanc, veut savoir pourquoi elle a «structuré ses poèmes de cette manière, dans le centre de la page». Réponse : «J'aime bien ce qui est court, les falaises ne cessent de s'effondrer, je me suis dit que j'allais polir et enlever… On n'a pas besoin de mots compliqués, concédera-t-elle, juste quelques mots sur une page.» Youssouf se demande pourquoi consacrer un ouvrage à la Seconde Guerre mondiale. «Cela pèse encore, répond Alexandre Seurat, l'idée qu'il y avait des crimes de papier ; ce n'étaient pas des bourreaux, ces gens qui écrivaient des lettres administraient des biens… Ce passé est toujours dans notre présent.» Shaïniz en profite pour lui demander s'il préfère enseigner ou écrire. «Je ne pourrais pas qu'écrire, cela me stresserait trop de compter mes livres. Enseigner, cela me maintient jeune, les pieds sur terre, mais c'est compliqué de tout faire.» Maxime, en lycéen pragmatique, questionne : «Arrivez-vous à vivre de votre métier ?» Guy Delisle dit avoir longtemps fait du dessin animé. Il se consacre aujourd'hui uniquement à la BD. Bérengère Cournut est correctrice et journaliste, en plus de son travail d'écriture. Tanguy Viel dit «se débrouiller bon an mal an». Ses livres sont souvent traduits à l'étranger. Ainsi vont les écrivains.