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L’arrière-cuisine des aliments ultratransformés

Même s’ils sont omniprésents dans l’alimentation des Français, les «AUT» restent peu étudiés et recouvrent une réalité aux contours mal définis.
Les aliments ultratransformés représentent aujourd’hui près de 50% des produits alimentaires achetés par les Français. (Photo Roderick Chen. Getty)
publié le 16 février 2018 à 20h46

Quelques chiffres pour commencer. Les Français consacrent à l’alimentation une part de plus en plus réduite de leurs dépenses. Elle était de 35 % en 1960 ; elle s’élevait à 20 % en 2014. Dans le même temps, la consommation alimentaire par habitant a augmenté régulièrement dans l’Hexagone en volume (+1,1 % annuellement, d’après l’Insee). Autrement dit, la nourriture coûte moins cher. Par quel miracle ? Primo : les distributeurs sont de plus en plus gourmands en prix vis-à-vis de leurs fournisseurs, producteurs et industriels, lesquels achètent la matière première au plus bas prix avant de la travailler. Deuxio : depuis les années 80, les aliments ultratransformés ont envahi les lieux de vente, dopés par la baisse du temps consacré par les Français à la cuisine. Et comme ils sont fabriqués en masse et dans un contexte ultraconcurrentiel, les prix pratiqués sont tirés à la baisse. Au point que ces aliments compteraient aujourd’hui pour près de 50% des produits alimentaires vendus en magasins.

«Additifs». Mais que sont ces fameux «aliments ultratransformés» au cœur de l'étude qui nous occupe ? Anthony Fardet, ingénieur en agroalimentaire, docteur en nutrition humaine, chercheur en alimentation préventive et auteur (1), est l'un des premiers à avoir travaillé sur cette notion. «Un aliment ultratransformé correspond à une formulation qui contient une longue liste d'ingrédients ou d'additifs mais d'utilisation uniquement industrielle, avance le scientifique. C'est-à-dire que vous ne pourrez pas les acheter en faisant vos courses. Les Brésiliens considèrent qu'à partir de quatre-cinq additifs, on est en présence d'un produit ultratransformé.» Concrètement, il existe deux grandes catégories d'aliments ultratransformés. «Tout d'abord, il y a ce qu'on appelle les faux aliments avec des matrices totalement reconstituées, qui ne contiennent quasiment pas de vrais aliments, comme les sodas, les yaourts à boire, les barres chocolatées…» Et puis il y a les plats préparés ultratransformés, qui contiennent de vrais aliments «mais qui sont bourrés d'additifs et d'ingrédients». Or, selon Anthony Fardet, le sujet du degré de transformation des aliments et la santé «n'a jamais été traité de manière systématique».

Pour autant, le chercheur n'est pas étonné des conclusions de l'étude. «Tous les résultats précédents tenant compte de cette classification émise et popularisée par les chercheurs brésiliens de São Paulo mettaient en évidence soit des alimentsavec des profils nutritionnels dégradés, soit des associations avec l'obésité ou la dérégulation du métabolisme lipidique.» Il y a un an, dans une étude NutriNet-Santé, des chercheurs avaient avancé qu'un adulte moyen, qui a besoin de 2 200 à 2 300 calories par jour, consomme 35,9 % de calories (protéines, lipides, glucides) ultratransformées, soit 18 % de la masse des aliments ingérés quotidiennement. «Et encore, on peut penser que c'est un peu plus car la population étudiée dans cette étude a un niveau socio-économique plus élevé que la moyenne et l'on sait que ces gens ont tendance à mieux manger que la moyenne.»

Antioxydant. Attention toutefois aux idées toutes faites sur des produits souvent mécaniquement mis en cause dans cette malbouffe : la surgélation et les plats cuisinés ne signifient pas forcément ultratransformation. Et donc addition de produits indésirables et possiblement cancérogènes. Pour s'en assurer, il est nécessaire de lire la liste des ingrédients et additifs indiqués sur l'étiquette. Ainsi, il se peut qu'il y ait «juste» un antioxydant pour conserver le produit. Un petit salé aux lentilles qui semble inoffensif peut ne pas l'être. Tout comme un pain de mie complet sous vide, car il s'agit de complet reconstitué et non de complet naturel. «C'est ce que font les industriels quand ils remettent des vitamines, des minéraux et des fibres, car le produit a tellement été matraqué qu'ils essayent de restaurer sa qualité nutritionnelle, avance le chercheur. On peut tout faire, mais c'est dommage de dépenser de l'énergie à fractionner et à recombiner des ingrédients pour faire des aliments ultratransformés alors que des aliments existent déjà de manière naturelle.» Sa conclusion : «C'est une perte d'énergie, de temps et d'argent.»

De leur côté, comment les transformateurs accueillent-ils l'étude en cause? Pour Catherine Chapalain, directrice générale de l'Association nationale des industries alimentaires (Ania), «il faut faire preuve d'une très grande prudence avant d'affoler les consommateurs. Il y a des réserves qui ont été apportées par les auteurs de l'étude. Et il n'y a pas de conclusions». De plus, pour la représentante des industriels, «la définition des produits ultratransformés est arbitraire. Cela part du postulat que les aliments industriels ont une composition nutritionnelle différente des produits artisanaux ou faits à la maison. Or le principe de la cuisine, c'est la transformation des aliments, que ce soit par le consommateur, les industriels ou au restaurant.»

(1) «Halte aux aliments ultra-transformés! Mangeons vrai» (éditions Thierry Souccar)