Est-ce un nouveau versant du «en même temps» macronien ? En tout cas, le Premier ministre Edouard Philippe, accompagné de son ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire, a annoncé ce vendredi un élargissement du décret dit «Montebourg» lors d’un déplacement à Lassigny (Oise) dans une usine historique de L’Oréal. De quoi faire sortir l’ex-pensionnaire de Bercy de sa retraite politique sur Twitter.
Voilà une bonne et utile décision. Mais un décret n’est rien en soi si on ne s’en sert pas. Message destiné à bon entendeur... pic.twitter.com/TYMpnUgGbe
— ☰ Arnaud Montebourg (@montebourg) February 16, 2018
Qu’est-ce que le «décret Montebourg» ?
Il s'agit, de son vrai nom, du «décret relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable». Il a été pris en mai 2014 par le ministre alors en poste à Bercy, Arnaud Montebourg pour permettre à l'Etat de contrôler la tentative de rachat d'Alstom par l'américain General Electric (GE). Le socialiste avait ainsi repris un autre décret datant de 2005 par le Premier ministre de l'époque, Dominique de Villepin, lequel modifiait un article du code monétaire et financier pour instaurer une «autorisation préalable du ministre chargé de l'économie» pour les «investissements étrangers» dans des domaines stratégiques : jeux d'argent (hors casinos), sécurité privée, antiterrorisme, écoutes téléphoniques, technologies de l'information, secret-défense, cryptologie, armes…
En 2014, Montebourg a élargi ces «autorisations préalables» aux domaines de l'énergie, la santé publique, les transports, les télécommunications. A l'époque, le patron du Medef, Pierre Gattaz avait qualifié la mesure de «mauvaise réponse» pour l'attractivité de la France, la Commission européenne avait mis en garde la France contre une tentation «protectionniste» et la droite raillé «une nouvelle foucade» de Montebourg.
Qu’a décidé le gouvernement ?
D'allonger la liste des secteurs concernés. Déjà en janvier, au retour du voyage présidentiel d'Emmanuel Macron en Chine, Bruno Le Maire avait annoncé qu'il comptait allonger la liste des secteurs concernés par le décret Montebourg au «stockage des données numériques» et à «l'intelligence artificielle». Le ministre de l'Economie et des Finances promettait aussi un élargissement des «modalités de sanction» en cas de non-respect de cette autorisation préalable. «Nous sommes une nation ouverte […] Mais ouverture ne veut pas dire pillage, pillage de nos technologies, pillage de nos savoir-faire, pillage de nos compétences», avait lancé Le Maire avant d'ajouter : «Les investisseurs étrangers sont les bienvenus […] Ces investissements obéiront désormais à des règles claires, qui ont été définis par le président de la République à l'occasion de son déplacement en Chine.» Soit : investissements de long terme, respect des règles environnementales et ouverture des marchés extérieurs.
Le gouvernement a donc décidé d'aller plus loin : en déplacement dans l'Oise dans une usine L'Oréal, Edouard Philippe et Bruno Le Maire ont annoncé que ce décret s'appliquerait également à d'autres «secteurs d'avenir» que sont le «spatial» et les «semi-conducteurs» (composants électroniques). Pourquoi avoir choisi L'Oréal pour une telle annonce ? Parce que le Premier ministre a aussi profité de ce déplacement pour rappeler les «axes» du projet de loi «plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises» (développement de l'épargne salariale, innovation et protection) attendu en conseil des ministres le 18 avril. Mais aussi parce que la famille Bettencourt, actionnaire majoritaire (33%) de L'Oréal, n'a pas vu reconduit son pacte d'actionnaire avec Nestlé (23%). Si l'élargissement du décret Montebourg ne concerne pas les cosmétiques – ce qui pourrait être jugé contraire au droit européen – Philippe s'est présenté «serein et vigilant» avec «la nouvelle période qui s'ouvre».
Philippe et Le Maire deviendraient-ils d’affreux «protectionnistes» ?
N'utilisez pas le terme devant eux, ils le détestent. «Nous souhaitons muscler notre dispositif de veille et de protection stratégique […] sans aucune brutalité protectionniste, a averti Philippe dans l'Oise. Les protectionnistes étaient les ennemis de leur pays quand ils menaçaient l'innovation.» Et pourtant, la logique qui pousse aujourd'hui Philippe à élargir la liste des domaines protégés est exactement la même qui a poussé Montebourg à dégainer son décret en mai 2014 : la protection des intérêts économiques stratégiques du pays. «Le choix que nous avons fait, avec le Premier ministre, est un choix de patriotisme économique, avait justifié Montebourg à l'époque. C'est un réarmement fondamental de la puissance publique. La France ne peut pas se contenter de discours quand les autres Etats agissent.» En version Philippe, cela donne : «Nous ne devons pas être naïfs […] On peut être ouvert et vigilant.» Certes, le vocabulaire choisi est plus soft avec un chef de gouvernement actuel qui se veut rassurant qu'avec un Montebourg qui se voulait plus conquérant. L'objectif est pourtant le même.
Alors, Philippe-Montebourg même combat ? «Un décret n'est utile que si on s'en sert !», rétorque le député PS des Landes Boris Vallaud. Ce dernier, à l'époque directeur de cabinet de Montebourg à Bercy, fait remarquer que ce décret a été pris pour négocier de meilleures conditions de reprise de la partie énergie d'Alstom en 2014 quand le gouvernement actuel, selon Vallaud, «abandonne» cette même entreprise aujourd'hui.
Pas assez pour la gauche. Et beaucoup trop pour certains entrepreneurs… Après avoir reçu en grande pompe à Versailles plusieurs patrons de grandes firmes internationales, Emmanuel Macron et l’ensemble de l’exécutif vont devoir rassurer le monde économique. Dès janvier, certains responsables de la French Tech s’étaient en effet émus d’une certaine contradiction entre discours sur les investissements et actes du gouvernement. Le Maire saura certainement expliquer l’équilibre choisi : en 2005, à l’époque du premier décret pris par Villepin, il était conseiller politique à Matignon.